Besoin d’indispensables ruptures au cœur du système international

L’analyse et l’évaluation objective de la crise de 2020, générée par la pandémie de Covid-19, révèle que cette crise touche les fondements du système économique, social, et politique dominant aujourd’hui dans le monde. Par conséquent, ce ne sont pas des réformes classiques de relance qu’elle exige pour son dépassement, mais bel et bien des inflexions substantielles et des ruptures majeures qu’il faut opérer au cœur de ce système. Ces inflexions et ses ruptures doivent s’articuler autour de quatre axes essentiels :

Changer radicalement de paradigme de développement

En effet, le premier enseignement de la crise de 2020 interpelle les modèles nationaux de développement eux-mêmes. A ce niveau, la crise a montré de la façon la plus claire que les modèles en cours de par le monde ont atteint leurs limites et qu’ils sont en train de nous conduire à une impasse et à un monde incertain. Par conséquent, tous les Etats, toutes les sociétés et toutes les économies sont appelés, d’un côté, à changer [paywall]radicalement leurs modes de production, de consommation, de répartition, d’échange et de coopération, et, d’un autre côté, à redéfinir leurs priorités à partir des besoins essentiels de leurs populations, de leurs entreprises et de leurs territoires.

Cette refonte systémique et cette nouvelle priorisation sont nécessairement appelées à s’opérer dans le cadre de politiques publiques fondées sur le renforcement des capacités endogènes de développement, le tout centré sur la satisfaction des besoins essentiels des citoyens, des entreprises et des territoires, et porté par la valorisation du génie national et local, de l’intelligence et de la veille de toutes les composantes de la société.

L’indispensable refonte de la gouvernance mondiale des crises

Le deuxième enseignement est au cœur de l’anarchie, du désordre, voire du chaos que connaît la gouvernance mondiale des crises. Cette gouvernance n’est ni responsable, ni solidaire, ni partagée, ni productrice d’actions coordonnées, harmonieuses et convergentes en matière de stratégies de lutte contre les pandémies, les catastrophes naturelles et les conflits. Si une telle situation perdure, elle aura un impact certain sur la sécurité humaine dans l’ensemble.

Dans ce contexte, force est de constater que, lors de cette pandémie de Covid-19, les principales puissances mondiales, hormis quelques rares exceptions dont l’intention géopolitique n’échappe à personne, ont raté leur rendez-vous avec l’Histoire. Elles se sont englouties dans une gestion égoïste locale stricto sensu de la pandémie, laissant des continents et des populations entières dans des situations sociales, sanitaires et matérielles infrahumaines et inhumaines.

Face à cette réalité, le système mondial a besoin d’une refonte radicale du Conseil de sécurité et de toutes les organisations internationales et régionales de la famille des Nations Unies. Cette perspective est dictée par deux faits nouveaux majeurs. D’abord,  la nature multipolaire des réalités du monde du XXIe siècle, où nous assistons, d’un côté, à un vrai déclin des anciennes puissances occidentales, mais  qui continuent à avoir la part du lion au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et dans les autres organisations internationales et régionales spécialisées, et, d’un autre côté, à l’émergence de nouvelles puissances économiques, technologiques et militaires qui pèsent grandement sur le cours des principaux événements mondiaux ainsi que sur le jeu complexe des relations internationales.

Le système mondial a besoin d’une refonte radicale du Conseil de sécurité et de toutes les organisations internationales et régionales de la famille des Nations Unies.

Elle est dictée, ensuite, par ce qui attend la communauté internationale en matière de gestion des nouvelles générations de guerre, de pandémies et de catastrophes humaines et naturelles, en sus des défis économiques, sociaux, environnementaux et sécuritaires que connaît d’ores et déjà le système mondial.

Ces défis, ces enjeux, et ces insécurités montrent et démontrent qu’aujourd’hui plus que jamais les peuples et leurs Etats ont un besoin urgent d’une nouvelle et véritable gouvernance mondiale. Celle-ci doit, cependant, être basée sur une gestion multilatérale effective et permanente des crises, et être portée par un pilotage institutionnel unifié et efficace, assurant la coordination permanente de toutes les questions internationales, objet des différents mandats et Agendas des Nations Unies. La réalisation de la sécurité, de la paix, de la stabilité, du progrès humain, de la durabilité et de la soutenabilité du développement en dépendent grandement. C’est à ce prix que la sécurité humaine globale sera préservée et c’est à travers cette gouvernance nouvelle que les intérêts des générations futures pourront réellement garantis.

Réhabiliter et valoriser la place des sciences, de la connaissance et de la culture dans la société

Le troisième enseignement réside dans le fait que cette crise a eu, également, un impact d’ordre sociétal, voire existentiel. En effet, la crise de 2020 a révélé et réveillé auprès des citoyens du monde la vulnérabilité de la condition humaine et les limites de l’existence. Dès lors, des millions de personnes, et pas obligatoirement ceux parmi la catégorie des lettrés, ont commencé à s’interroger sur le sens de leur existence et à penser leurs conditions de (sur)vie, en interpellant l’incapacité objective de l’Homme et des système politiques, économiques et sociaux en place à vaincre les incertitudes, les aléas, les catastrophes naturelles, les pandémies et les nouveaux risques postindustriels impulsés par l’émergence de guerres d’un genre nouveau qui se profilent à l’horizon.  Ce faisant, ce ne sont plus uniquement les élites, mais les peuples de par le monde qui commencent à se poser la grande question, qui a toujours taraudé l’imaginaire des individus, des communautés et des Nations, depuis l’Antiquité, à savoir : dans quel monde voulons-nous et pouvons-nous vivre demain ? Et quels projets de sociétés doit-on rebâtir pour l’avenir ?

Cette nouvelle donne a impulsé, à une vitesse insoupçonnée et en temps réel, un mouvement mondial visant à penser autrement le destin commun de l’humanité. Mais, ce qui est spécifique à cette démarche, c’est qu’elle a générée le besoin pressant d’une relecture de la relation entre le savoir, la science, la philosophie et les croyances, d’un côté, et entre le droit, le champ politique et le champ religieux, de l’autre.  Ce qui met les sociétés humaines dans une phase de transition inédite au niveau de la pensée, les transportant d’un « confinement » les enfermant dans une aspiration à un retour aux sources des croyances et aux fondamentalismes sous toutes ses formes, à une ère fondée sur l’impératif renouveau des sciences et l’appel aux lumières de la philosophie. Les esprits éclairés et les élites dirigeantes doivent prendre appui sur cette mutation émergente pour libérer les énergies créatrices de leurs sociétés, et ce en vue d’inscrire cette dynamique dans le cadre d’une révolution culturelle appelée à accompagner les nouveaux modèles de développement à bâtir. C’est pour cette raison qu’il est de la plus grande importance de réhabiliter et de valoriser la place des sciences, de la connaissance et de la culture dans nos sociétés.

Cette nouvelle donne a impulsé, un mouvement mondial visant à penser autrement le destin commun de l’humanité.

Préserver la vie et la valeur de l’Homme par l’écologie

Le quatrième enseignement, enfin, porte sur le lien de cause à effet avéré entre la nature du modèle économique et social hérité du XXe siècle, les dérèglements climatiques et l’émergence de nouvelles pandémies. En effet, le modèle économique et social qui prévaut, de par le monde depuis le XXe siècle, parce que centré sur la priorité accordée au productivisme et au consumérisme, a conduit à une surexploitation effrénée des ressources agricoles, halieutiques, forestières, hydriques, et minières à une échelle planétaire, entraînant des irréversibilités dans l’équilibre Homme-Nature. Ce déséquilibre se creuse d’année en année à cause de choix énergétiques et technologiques destructeurs de la nature en particulier, et du vivant en général.

Par ailleurs, cette surexploitation est aggravée i) par une démographique galopante, ii) la poursuite sans limites de la compétition économique entre les anciennes puissances et celles émergentes se disputant le leadership commercial, technologique et militaire mondial, iii) et une gouvernance nationale et mondiale des questions de développement, hormis quelques rares exceptions de pays et de communautés, demeurant très peu et/ou pas soucieuse de l’équilibre indispensable à réaliser et à maintenir entre la terre et les Hommes, par et pour la sauvegarde de la biodiversité, des écosystème naturels et la préservation du patrimoine végétal et animal mondial.

Il n’y a aucun doute, et de nombreuses études sérieuses indépendantes le prouvent, c’est la rupture de ces équilibres qui est à la base du développement des nouvelles générations d’insécurités alimentaire, hydrique, énergétique, et de leurs conséquences sur l’évolution épidémiologique dans le monde, ainsi que sur l’accélération des catastrophes naturelles, des phénomènes extrêmes et des migrations climatiques. Les sècheresses et les inondations à répétition, la déforestation, la désertification, l’érosion des terres, la fonte des glaciers, la disparition d’espèces vivantes animales et végétales, la déstabilisation de la vie dans les fonds marins et l’émergence de nouvelles maladies ne sont que les manifestations visibles de cette logique qui laissent derrière elle la détresse, la désolation, et la misère humaines.

Cette logique autodestructrice est en train de nous conduire à un monde incertain, d’irréversibilités écosystémiques, écologiques, technologiques, sociales et culturelles très préjudiciable[s] pour la sécurité humaine globale.

Cette logique autodestructrice est en train de nous conduire à un monde incertain, où le développement d’irréversibilités écosystémiques, écologiques, technologiques, sociales et culturelles sera très préjudiciable à moyen et long termes pour la sécurité humaine globale. Elle doit interpeller, dès maintenant mais résolument, les Etats, les territoires, les entreprises, les citoyens et les instances internationales de la famille des Nations Unies sur l’urgence impérieuse soit de changer, soit de régresser au risque de périr.

La pandémie actuelle en est-t-elle l’ultime sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard pour toute la communauté internationale ?

Driss Guerraoui

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