Coronavirus et migrations

Le coronavirus a eu peu d’impact sur les migrations au tout début de la crise, mais au fur et à mesure que celle-ci s’est déployée dans le monde, la COVID-19 a montré combien elle pouvait être révélatrice des interdépendances du monde. Ses conséquences humanitaires, économiques, politiques sont considérables, révélant la faiblesse du monde occidental, et notamment de l’Europe, face à des décisions prises unilatéralement par les Etats et l’interdépendance des économies, en même temps que la précarisation accrue des migrants à statuts précaires. Comparé aux autres pandémies historiques, le bilan du nombre de morts est pourtant limité (1 million) contre la peste noire (40 millions de morts entre 1347 et 1352) et la grippe espagnole (50 millions entre 1918 et 1919).

Fermeture des frontières en Europe

La fermeture des frontières nationales a été l’une des premières mesures adoptées par de nombreux pays européens pour limiter la propagation du coronavirus. D’autres pays ont ensuite emboîté le pas (aux Etats-Unis, en Asie, au Maghreb, en Afrique sub-saharienne, en Australie et dans le Golfe), révélant aux migrants du Nord que les frontières n’étaient plus ouvertes à tous et qu’ils devenaient indésirables au Sud. Le 17 mars, l’Union européenne a d’abord annoncé une fermeture des frontières extérieures pour une durée de trente jours puis, le 8 avril, cette décision a été prolongée jusqu’au 15 mai. Plusieurs États européens avaient déjà commencé à fermer leurs frontières avec leurs voisins, suivis par [paywall]les pays situés de l’autre côté de la Méditerranée (Maroc, Algérie, Tunisie). Le moment de leur réouverture s’étale dans le temps, d’abord avec la réouverture progressive des frontières internes dans l’Union européenne, notamment dans les pays de tourisme (Italie, Espagne, Portugal, Grèce).

L’Agence européenne aux frontières, Frontex, a arrêté 4 650 personnes au mois de mars, soit moitié moins que le mois précédent.

Pour les migrants extra-européens, l’Organisation mondiale des migrations (OIM) a observé une baisse importante du trafic en Méditerranée centrale, de la Libye à l’Italie ou vers la Grèce, qui a repris depuis. L’Europe n’est plus devenue attractive pour les réfugiés ou les migrants économiques, du fait de la fermeture des frontières et des risques sanitaires, puisque le continent a été particulièrement touché par la pandémie. L’Agence européenne aux frontières, Frontex, a arrêté 4 650 personnes au mois de mars, soit moitié moins que le mois précédent.Face à la fermeture des ports et la possibilité de rester bloqué durablement en mer, des navires humanitaires ont aussi été à l’arrêt, comme l’Ocean Viking, affrété par l’ONG SOS Méditerranée, immobilisé à Marseille depuis la mi-avril. L’épidémie a suspendu les arrivées de migrants en Europe et leur circulation entre les pays membres qui ont fermé leurs portes. L’exercice du droit d’asile s’est arrêté avec la fermeture des guichets pour les demandeurs.

Depuis 2015 et le pic d’arrivées des migrants et réfugiés en Europe (environ un million de personnes en 2015), les migrants sont de moins en moins nombreux chaque année à entamer ce périple. En 2019, autour de 120 000 personnes ont été enregistrées par le HCR. La nouvelle Commission européenne invite à reprendre les enregistrements et le traitement des demandes d’asile, les transferts de « dublinés » (renvoyés vers le premier européen où ils sont entrés en Europe) et les politiques de retour volontaires ou forcées.

Le confinement s’est aussi concrétisé au-delà des frontières de l’Europe, mettant en sourdine les diplomaties migratoires avec les pays tiers. Alors qu’à la veille du confinement, les projecteurs étaient portés sur la décision turque d’ouvrir ses frontières à plusieurs milliers de candidats à l’asile et à les déplacer vers la frontière grecque, les autorités turques ont transféré environ 4 000 personnes à l’intérieur des frontières turques pour qu’elles restent en quarantaine, temporairement, le temps de l’épidémie.

Ailleurs, comme en Libye, des migrants restent « confinés » dans les centres de rétention en attendant d’être reconduits dans leur pays d’origine. D’autres demeurent dans des centres d’accueil de demandeurs d’asile, à haute densité de population. Les plus précaires ont vu leur situation se dégrader face à la raréfaction des distributions alimentaires et des services de santé…

Persistance des besoins structurels de main d’œuvre

Mais ce que la crise a surtout révélé, c’est la dépendance des pays d’immigration à l’égard de leur main d’œuvre immigrée, qui a parfois de son côté connu une perte d’emploi du fait du ralentissement de l’économie. Ainsi l’Italie et le Portugal ont décidé de régulariser les sans-papiers travaillant dans les métiers des soins à la personne (métiers du « care ») compte tenu des besoins dans ce secteur. En Allemagne, la pénurie de travailleurs saisonniers agricoles s’est fait sentir, notamment pour les récoltes saisonnières de printemps (asperges), habituellement effectuées par des travailleurs de l’Est (Ukrainiens). De même en Autriche, où les Roumaines s’occupant des personnes âgées ont pu revenir par petits contingents, accueillies à bras ouvert par les Viennois en manque de personnel. En Espagne, les ramasseuses de fraises marocaines se sont heurtées au blocage des frontières, mettant en péril leurs revenus pour la famille au Maroc, en proie à la sécheresse et à la baisse de l’emploi agricole, face à une faible substitution de ces tâches par des travailleurs espagnols. En Italie, les saisonniers marocains n’ont pu revenir qu’au compte-goutte, comme au Royaume-Uni où les Roumains sont revenus travailler dans les champs, alors que la concurrence avec les Européens était l’un des thèmes favoris du Brexit.

A l’échelle mondiale, baisse des transferts de fonds, enfermement dans les pays de travail ou retour vers la région d’origine

Ailleurs dans le monde, la COVID-19, en diminuant les flux, a eu pour effet de diminuer le montant des transferts de fonds vers les pays d’origine. Ils représentaient, en 2019, 530 milliards de dollars annuels. Même si les chiffres de 2020 ne seront connus qu’à la fin de l’année, une réduction des transferts de fonds a été observée de 2,6 % en avril 2020 entre les Etats-Unis et le Mexique, région où ils sont parmi les plus élevés, et une baisse de 20 % est prévue selon la Banque mondiale en 2020 dans le monde…

En Inde, la COVID-19, mettant au chômage des centaines de milliers de travailleurs indiens dans le nord du pays, s’est traduite par des migrations internes massives du Nord au Sud du pays chez les plus démunis, dans des conditions sanitaires parmi les plus précaires. Dans les pays du Golfe, les travailleurs privés d’emploi se sont retrouvés bloqués sans pouvoir retourner chez eux ou expulsés, comme en Arabie saoudite.

La COVID-19 n’a pas sonné la fin des migrations, mais a montré l’interdépendance structurelle des pays riches à l’égard des pays pauvres.

La COVID-19 n’a pas sonné la fin des migrations, mais elle a accéléré les migrations internes de retour vers les régions d’origine (Ukrainiens quittant la Pologne, Vénézuéliens et Afghans de retour chez eux), et a montré l’interdépendance structurelle des pays riches à l’égard des pays pauvres. Les Européens ont aussi découvert qu’ils étaient devenus indésirables dans des régions du monde où ils circulaient hier librement.

Catherine Wihtol de Wenden

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