Interview d’Alain Parmentier

Pouvez-vous nous parler en quelques phrases de votre entreprise ?

Créée en 1953 par mon beau père, F.A. Gerbelot est spécialisée dans l’usinage de cages de roulement et de matériel dentaire (articulateur et arc facial permettant au prothésiste de représenter les occlusions dentaires). Afin de garantir ces approvisionnement matière, F.A. Gerbelot crée une seconde structure Fonderie du Mont-Blanc (fonderie par centrifugation d’alliage cuivreux).

Détenteur de la norme Iso 9001 et 14001, lauréat du label « Generali Performance Globale », nous avons beaucoup investi sur le chapitre du développement durable (sécurité et formation des collaborateurs, recyclage de tous ses déchets, système de récupération et de traitement des fumées…). Notre société emploie trente personnes ; 4 millions d’euros de chiffre d’affaires pour FAG et 1, 4 millions d’euros pour la partie fonderie.

La crise du COVID et votre entreprise

La crise de la Covid a surpris par son ampleur, sa vitesse de propagation et sa violence. Elle surprend aussi car elle révèle de nombreuses faiblesses à tous niveaux, met en évidence des réalités et des tendances cachées et accélère leur évolution. Qu’est-ce que cette crise a changé pour vous ?

Après de belles années (deuxième année de bénéfices), nous partions sur une nouvelle stratégie : nous avions remboursé 90 % de nos emprunts et nous envisagions une deuxième vague d’investissements pour réaliser de nouveaux projets et répondre à de nouveaux marchés, lorsque la crise sanitaire de la Covid est apparue.

Elle va nous freiner et nous a mis dans une situation de trésorerie délicate, mais beaucoup de procédures avaient été mises en place en termes de gestion des risques et d’environnement, et la COVID va nous pousser à prendre en compte un nouvel environnement (éviter les déplacements, renforcer l’usage du numérique, améliorer nos process…). Nous avons dû fermer l’usine ; cela ne s’était jamais vu. Cela étant, [paywall]nous avons fait revenir peu à peu les personnes, effectué des opérations de maintenance, pris de l’avance sur certaines opérations, remotivé les troupes en gardant systématiquement le contact régulier avec eux.

On n’a jamais eu autant de demandes de la Chine.

Nous avons obtenu de nouveaux marchés dans l’aéronautique. On n’a jamais eu autant de demandes de la Chine. Nous sommes sur un marché de niche, où il y a très peu de concurrents. Il y a certes des opportunités à saisir, certains clients changent de fournisseurs, mais ce sont des marchés de longue haleine. Nous devons renforcer nos capacités à les trouver.

Que vous a appris cette crise sur votre entreprise et ce qu’il faut améliorer ?

Comme toute chose, nous avons nos forces et faiblesses. Et la COVID nous a ouvert les yeux sur le numérique, sur de nouvelles méthodes ; on y pensait déjà, mais la COVID met les choses à plat et nous pousse à réaliser.

Pour analyser ces forces et faiblesses, on distingue certains facteurs (que l’on appelle son Capital immatériel). Ils se situent au cœur de la stratégie de l’entreprise.  Ils comprennent : Ressources cognitives (savoirs et organisation) ·         Capital humain (les ressources humaines de l’entreprise) ·         Capital des savoirs (les savoirs et savoir-faire, la culture de l’entreprise) ·         Capital organisation, capital système d’informations

Ressources relationnelles (réseaux et image) ·         Capital partenaires, capital clients, capital actionnaires ·         Capital sociétal (mécénat, communautés locales…) ·         Capital marque

Ressources environnementales (exposition aux risques) ·         Capital naturel/environnemental (qui a trait au lieu où l’entreprise se situe, son exposition à divers risques naturels et environnementaux)

Il faut renforcer le commercial, développer la formation via la vidéo, travailler autrement avec les distributeurs, établir de nouvelles procédures, renforcer le prévisionnel avec les clients, ajuster les approvisionnements (le transport a été beaucoup perturbé), prendre encore plus conscience de l’importance des personnels qu’il faut fidéliser (la présence de la Suisse à proximité, où les salaires sont beaucoup plus élevés qu’en France, rend cette tâche essentielle). Beaucoup de choses changent et tout le monde est concerné, et chacun doit apporter quelque chose.

La valeur de l’entreprise, ce sont les hommes qui la composent.

La part de l’immatériel (les connaissances, les compétences, les relations en interne avec le personnel, l’organisation avec les clients et les fournisseurs…) semble être importante pour consolider l’entreprise.

Oui, cela génère du dialogue, conforte l’image de l’entreprise, renforce la créativité. La COVID a posé pas mal de questions, on s’est inscrit à beaucoup de manifestations, de réseaux, pour mieux comprendre ce qui se passait, se faire aider. La valeur de l’entreprise, ce sont les hommes qui la composent.

Nos produits, articulateurs et arcs facial, sont très spécifiques au monde dentaire. Ils forment un tout, s’articulent avec des concepts et exigent des compétences spécifiques : ils demandent que nous renforcions la formation des dentistes, des distributeurs, des prothésistes, notamment par la vidéo ou par la création d’un centre de formation.

On a plein d’idées : renforcement du commercial dans divers pays, développement du numérique, robotisation de l’atelier, des instruments 3D pour le dentaire, utilisation de nouveaux matériaux à base de carbone pour des montages en 3D, contrôle de production par usage de la vidéo…

Le territoire sur lequel se situe votre entreprise peut offrir toutes les catégories du capital immatériel collectif : •      Ressources cognitives et culturelles : formation, facilitation d’innovation, circulation d’informations, •      Ressources relationnelles : facilitation des relations avec les partenaires, les clients, les fournisseurs, les actionnaires, la société, le territoire, etc. •      Ressources images et valorisation des marques (elles valorisent aussi le territoire) •      Ressources financières (valorisation de certaines capacités, de services communs rendus…) •      Ressources physiques partagées : communication, télécommunication, système d’information et de données, transports, moyens d’innovation, dispositifs de marché, de gestion de risques •      Ressources environnementales (qualité de l’air, l’eau, les sols, les paysages, silence, la sécurité vis-à-vis des risques naturels…)

Quels sont vos outils de pilotage (indicateurs, tableau de bord, analyse des risques…) ?

Depuis deux ans, pour nos deux activités (roulements et dentaire), nous avons un tableau de bord. Tous les mois, nous le mettons à jour, et nous n’avons pas peur de le partager : tout le monde peut voir la progression, y compris les investisseurs. Chacun a une vision de la trajectoire de l’entreprise et de son état de santé. On fait des bilans sociaux. Nous nous assurons que chacun peut occuper plusieurs postes pour que chacun puisse être remplacé en cas de maladie.

Quels sont les apports du mode extérieur ?

Le monde extérieur et le territoire ont une grande importance pour l’entreprise. Ils peuvent faire naître des opportunités :

  • L’Etat nous a apporté beaucoup dans cette période, notamment avec l’aide au chômage partiel.
  • La Commune de Cluse nous a aussi beaucoup apporté, et son maire est très proche de l’entreprise. Elle attend beaucoup de nous et nous attendons beaucoup d’elle. Elle pousse pour que la fibre soit installée jusqu’à l’usine. Nous avons coopéré en matière de fabrication de masques.
  • Le Pôle de compétitivité est aussi un interlocuteur quotidien, au même titre que la CCI de Haute Savoie, les Fédérations CPME ou Fonderie.

La crise de la COVID a rapproché les gens : le chef d’entreprise a été bien entouré !

Pensez-vous que les gros donneurs d’ordres pourraient vous aider, notamment du fait que la crise a mis l’accent sur la relocalisation, sur l’utilisation des ressources locales ?

Certes, il y a cette tendance. Mais l’être humain à une capacité à oublier très vite… Ce sera sans doute du dépannage, et on risque de revenir rapidement aux pratiques antérieures. L’Etat a conscience du besoin de revenir vers l’utilisation de toutes les ressources locales. Dans le médical, cela peut être le cas. Il faut surtout changer l’état d’esprit.

Il faut investir sur le territoire !

Nous sommes dans la Vallée de l’Arve, où la qualité de vie, la qualité du personnel, les conditions de travail industriel (on y trouve tous les types et marques de machines) sont exceptionnelles. Les territoires, le Pôle de compétitivité, communiquent beaucoup à ce sujet.

Il faut s’ouvrir à l’autre. Il faut investir sur le territoire !

Propos recueillis par Didier Raciné,

Rédacteur en chef d’Alters Média,

avec le soutien de Generali

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