Rêve de Scènes Urbaines, construire la ville sur elle-même

Une préfiguration de la ville résiliente de demain

Pouvez-vous nous présenter votre parcours (Directeur général délégué de Vinci Construction France) et vos grandes missions comme Directeur Marketing stratégique et Développement urbain de VINCI ?

Après trente ans d’opérationnel (3 milliards d’euros de chiffre d’affaires géré en 2012 en tant que Directeur Général délégué de Vinci Construction France), depuis sept ans, ma mission à la Holding de VINCI, rattaché au Directeur Général Adjoint de VINCI en charge du Contracting, M. Richard Francioli, est de comprendre les évolutions de la ville et de faire des propositions aux Pôles et aux Business Unit (BU). En contact avec l’Open Innovation de Vinci, de sa R et D, mais avec de nombreux mandats de représentation de Vinci au sein d’instances professionnelles (EGF BTP, FIEC, LCA-FFB…), d’administrateur de Paris Capital Economique, la mission est de détecter les tendances, les idées innovantes, de les ramener vers les BU ou vers Léonard (qui assure les fonctions d’open innovation pour le Groupe) et Résallience (pour incubation). Dès que l’idée est reprise, mon travail d’impulsion est fini : il nous faut accompagner, mais renoncer à la mise en œuvre !

Vous représentez Vinci à la présidence de l’association Rêve de Scènes Urbaines, sur le territoire de Plaine Commune, en complète mutation. Pourquoi Plaine Commune est-elle un territoire d’expérimentation et de démonstration d’exception ?

Plaine Commune en est à sa troisième mutation en un siècle et aborde la quatrième. Plaine agricole dans le Nord parisien, avant la Deuxième Guerre mondiale, le territoire accueille lors des Trente Glorieuses des actifs industriels lourds, du fait de sa proximité avec Paris et de la boucle de la Seine (incinérateurs, production d’énergie, autoroute A1 et périphérique). Il devient de ce fait une agglomération de banlieue, au mauvais sens du terme, intégrant des fonctions d’infrastructures et des voies d’accès au service de Paris, ce qui a desservi la population.

La troisième mutation est l’inscription de l’intercommunalité dans l’aventure métropolitaine. C’est le basculement vers des actifs tertiaires (Stade de France, Studios, Labos, grands groupes),[paywall] profitant de terrain encore bon marché. La création de la plateforme Plaine Commune Promotion permet d’associer le territoire et les acteurs économiques, les entreprises locales et les citoyens du territoire. Néanmoins, le territoire n’a pas encore de production nette positive.  

La quatrième phase qui commence est portée par cette vision pour créer une ville plus moderne, un univers urbain intégré, autour de services et des emplois pour les populations, plutôt qu’une juxtaposition de fonctions.

Quel rôle pour Rêve de Scènes Urbaines ?

C’est dans ce contexte qu’est arrivée Rêve de Scènes Urbaines (RSU), fabrique de microprojets et de projets au service du territoire, projets qui doivent s’imposer de façon naturelle sur le territoire, pas seulement sous forme de commande publique, mais dans le montage d’opérations correspondant aux besoins du territoire, en amont, dans le dialogue. RSU publie des fiches idées (150 fiches de deux pages A4), tous les six mois puis tous les ans, discutées au sein du Conseil de l’EPT (Etablissement Public Territorial), qui en retient 20 à 30.

Il ne s’agit pas de propositions commerciales, mais de projets menés en partenariat, sélectionnés et triés dans le cadre d’un dialogue au service du territoire, de l’établissement public territorial (EPT).

De projets menés en partenariat, sélectionnés et triés dans le cadre d’un dialogue au service du territoire

Les fiches ont, par exemple, déjà porté sur la réversibilité des constructions, les modes constructifs, l’économie circulaire et la gestion des ressources, la transition énergétique, la rénovation, le cadre de vie, les outils d’évaluation de projet, l’innovation sociale, l’éducation/formation, la transition numérique.

Quelques exemples d’idées proposées :

  • XtreeE, plateforme de conception et de fabrication additive (3D) de grande dimension, qui propose, entre autres, le développement de structures béton armé en « nid d’abeille », un moucharabieh béton refroidissant imprimé en 3D ;
  • Du coliving pour handicapés, proposé par une association ;
  • Un hub de formation professionnelle articulant formation initiale et continue diplômante, avec la formation continue des entreprises, au sein de campus regroupant locaux d’activités, ateliers de production, services ouverts sur la ville et logement étudiants.

Quelle conception de la ville ressort-elle de cette approche ?

Pour Patrick Braouezec, Plaine Commune devait devenir une vraie ville, avec intégration des fonctions urbaines (habitat, déplacement, gestion des flux de toutes natures…), consommant moins d’espace naturel, moins de déplacements, moins de densité, de hauteur, plus de services, d’emplois sur place, plus de social et de formation, de démocratie participative, un usage plus sobre des ressources. Reconstruire la ville sur la ville !

Bernard Stiegler, associé par Plaine Commune au projet, portait une vision très prospective, tournée vers les individus, souhaitant plus d’emplois et de formations en local, pour le local, au profit du local, moins de nuisances. P. Braouezec développait l’idée, redoutable mais très en avance, d’utiliser le privé au profit des populations, le privé devant servir le projet politique non pas pour les politiques, mais pour la population, les élus s’effaçant devant elles. Ce que résumait le Label des 5 P : Partenariat Public-Privé, pour la Population et la Planète.

Et le concept de fabrique de la ville sur elle-même ?

C’est dans ce contexte qu’est née l’idée clé d’expérimenter le concept de la fabrique de la ville sur elle-même, dont Rêve de Scènes Urbaines a été le laboratoire. Il s’agit de renverser la conception des villes nouvelles des années 1960-1970. Ce défi se pose pour toutes les villes, en France comme à l’étranger. Avec ce concept très en avance, nous avons le bagage pour comprendre ce que la ville attend. EuroMed et le CSF des Industries pour la Construction ont référencé Rêve de Scènes Urbaines. Et beaucoup de villes nous ont interrogés, en France (Tours, Châteauroux, Marseille avec EuroMed, Orly Rungis…) et en Afrique.

P. Braouezec développait l’idée, très en avance, d’utiliser le privé au profit des populations, projet politique pour la population.

Plusieurs autres thèmes sont en développement :

  • L’idée de métabolisme urbain et d’amélioration des flux ;
  • Le thème du bien être urbain, par l’innovation issue de partenariats et de dialogues avec le territoire ;
  • Le rapprochement des projets et l’épargne disponible ;
  • De nouveaux types de locaux d’activités construits sur un modèle de garantie contre les impayés grâce à un partenariat assureurs, investisseurs et territoires ;
  • La promotion de dispositifs originaux de formation, liés à ces besoins et à des territoires, écoles de cols bleus ouvertes à des pédagogies nouvelles.
Il s’agit de renverser la conception des villes nouvelles des années 1960-1970. Ce défi se pose pour toutes les villes, en France comme à l’étranger.

Un livre[1], rapport d’étape à deux ans, résume le message : il faut apprendre à travailler collectivement et avec modestie, à monter des partenariats à long terme avec les villes. Comme l’exprimait un haut responsable sénégalais, nous sommes sans doute les meilleurs en technique urbaine, mais nous ne sommes pas les meilleurs dans la relation avec les villes, nous ne savons pas décliner notre savoir-faire dans une logique partenariale, en modes de financement originaux. L’ingénieur français fait des offres techniques, dont le monde entier reconnaît le haut niveau. Mais il ne sait pas nouer des relations, dans la durée, avec des partenaires d’autres métiers et avec les villes.

En quoi sont-ce des idées de notre époque ?

Toutes ces solutions sont parfaitement dans l’esprit du post-Covid : plus de résilience urbaine, moins de déplacements, développement en local des fonctions vitales (santé, éducation des enfants, emplois…), mieux habiter la ville… Les villes qui sont le plus loin de ce modèle, qui ont le plus besoin de se transformer, ont été les plus touchées par la Covid.

Avant on ne pensait qu’à spécialiser les personnes, les fonctions ; on a tout découpé, et dans tous les sens, sans relier au local. Alors que c’est l’inverse qu’il faut faire. Il faut concevoir de nouveaux types de locaux, qui puissent accueillir des activités, des flux de marchandises, des locaux évolutifs, connectés pour répondre dans le temps à divers usages. Il faut aussi intégrer une nouvelle fonction, dans la ville, celle de la production, en développant une réelle mixité (pas que du tertiaire). Assurer des flux de tous types (l’alimentation de la ville par exemple) passe par la conception de nouveaux locaux, de nouvelles infrastructures, et cela sans détruire des locaux anciens. Tout cela permettra d’assurer l’autonomie des villes, de faire disparaître le flux de camionnettes que l’on voit tous les jours se précipiter de la banlieue vers la ville (50 % du flux le matin).

Propos recueillis par Didier Raciné

Rédacteur en chef d’Alters médias


[1] Technologies et génie urbain français – Le dialogue des territoires et des industriels de la ville, Editions Le Moniteur

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