
Ce qui fait l’originalité, mais aussi le caractère particulièrement avancé du projet de M. Garay, Maire des Mureaux, c’est d’avoir compris que le projet de la commune ne pouvait être séparé de la vie de ses habitants, mais était au contraire de leur fournir les « capabilités », les ressources pour construire leur vie sociale. Que toutes les activités de la commune devait être orientées par le souci de préparer les citoyens à l’éthique citoyenne, à l’autonomie dans la vie, par l’éducation et l’activité.
Quelle leçon tirez-vous de la crise sanitaire actuelle ?
Elle rend évidente des vérités que beaucoup ne voulaient pas voir. Notre société s’est trompée dans les années 1980 en allant dans le sens de l’extension de l’économie de marché. Nous ne nous sommes pas rendus compte d’une évolution qui poussait des pans entiers de l’économie à employer de moins en moins de personnes. L’absence d’activité (qui était une exception auparavant) s’est généralisée. On a beaucoup augmenté le temps d’inactivité. De plus, beaucoup de métiers ont été dévalorisés (notamment les métiers d’artisans, de services et d’aide à la personne). La pandémie a bien montré que la société s’appuyait sur un socle de travailleurs indispensables et cependant ignorés.
La philosophie générale se résume en deux lettres : E pour éducation et éthique, A pour activité et autonomie.
Maire de la ville des Mureaux, vous défendez depuis 2001 un projet particulièrement original. Pouvez-vous nous en présenter la philosophie générale ?
Elle se résume en deux lettres : E pour éducation et éthique, A pour activité et autonomie. Le socle fondamental de l’éducation est la scolarité. Mais si vous faites le calcul : le temps que chaque élève passe au sein de l’école correspond seulement à 150 jours ou 850 heures par an. C’est fondamental, mais insuffisant. C’est pour cela que nous travaillons sur l’éducation en prenant en compte le temps que chaque enfant passe en dehors de l’école à travers le sport, l’accès à la culture, la connaissance de la nature et de l’environnement comme nos bords de Seine, nos parcs, nos forêts.
Comment se matérialise ce projet ?
Par exemple, nous avons créé le Pôle éducatif Molière. Nous avons installé cet équipement public à l’emplacement de ce qui était la plus haute tour de la ville. On y trouve désormais une crèche, une école maternelle, une école élémentaire, un accueil de loisirs mais également un ensemble d’équipements publics comme un gymnase, une salle de spectacle, une ludothèque, une salle de motricité, un espace numérique… Ces espaces sont évidemment réservés aux écoles quand elles en ont besoin, mais ouverts à tous les habitants et aux associations le reste du temps. Nous avons par exemple une association de yoga qui utilise la cour d’école le samedi matin. Résultat : on fédère les habitants autour d’un lieu unique et on optimise notre service public. Le Pôle Molière est un lieu où les gens vont chercher un service public mais où ils peuvent se rencontrer et s’entraider. Sans oublier l’impact environnemental puisque le Pôle Molière est aussi un bâtiment à énergie positive.
Cette originalité fait-elle des émules ?
Depuis son ouverture en 2014, le Pôle Molière a accueilli plusieurs présidents de la République, plusieurs ministres ainsi que des délégations étrangères. Son concept a en partie inspiré celui de la « cité éducative ». Nous poursuivons cette démarche avec la création du Pôle éducatif Léo Lagrange qui va s’appuyer sur notre stade. Là encore, on pourra avoir des locaux de qualité et innovants en ouvrant certains espaces aux associations sportives hors du temps de l’école. Ainsi la salle de restauration scolaire pourra se transformer et accueillir les supporteurs de nos équipes lors des week-ends.
Vous parliez également d’éthique ?
À travers l’éthique, nous souhaitons transmettre à chaque citoyen le respect de la règle commune. Mais une éthique ne peut s’acquérir que si vous avez compris votre rôle de citoyen impliqué au sein du collectif. Nous avons ainsi mis en place le Passeport Citoyen qui permet à chaque habitant, dans l’année de ses 18 ans, de réaliser un parcours dans les grandes institutions de la République (musée, hôpital, Assemblée nationale, tribunal, poste de police, collectivité locale…), suivi d’un stage dans l’une de ses institutions. Cela poursuit la création de nos Conseil municipal des enfants et Conseil municipal des jeunes.
Dans la même dynamique, nous avons créé au sein de notre collège Jules Verne une « Classe arbitre ». Pour l’instant, il s’agit de la seule initiative de ce type en France. Elle permet de former des collégiens au métier de l’arbitrage, notamment de foot. Il faut comprendre que l’arbitre est un tiers de confiance auxquels les joueurs confient le respect des règles lors d’un match. C’est une expérience que nous menons avec l’appui du groupe La Poste et qui portent de très bons résultats. Peu à peu, ces jeunes se prennent au jeu, si je puis dire, et deviennent de vrais médiateurs au sein de leur établissement.
Le rôle de l’arbitre dans un stade me parait vraiment très intéressant. Pour faire respecter la règle, il peut faire de la prévention, de la dissuasion, de la répression ou encore de la sanction. Mais la société doit aussi s’imposer une éthique : celle de préparer l’après-sanction. C’est la raison pour laquelle, en tant que maire, j’ai mis en place une plateforme d’accompagnement des sortants de prison. Sur la base du volontariat, chacun est accompagné par un élu afin de préparer sa vie d’après.
J’ajoute que quand on parle d’éthique, cela doit englober les questions liées à l’environnement et à l’attention que chaque citoyen porte à la nature et à son cadre de vie. C’est ainsi qu’aux Mureaux, nous avons rendu accessible la totalité de nos bords de Seine aux piétons et cyclistes, fait ressortir un affluent de la Seine qui avait été totalement enfoui sous terre et créé le premier écoquartier de France.
Quand on parle d’éthique, cela doit englober les questions liées à l’environnement et à l’attention à la nature et à son cadre de vie.
Enfin, vous parlez d’activité et d’autonomie ?
Effectivement, l’éducation et l’éthique sont des fondamentaux pour trouver sa place. Avec ses connaissances et sa conscience, chaque citoyen doit être en mesure de devenir actif et autonome. Pour cela, nous avons mis en place de nombreux dispositifs. L’ambition est simple : personne ne doit être laissé au bord du chemin.
Nos actions à ce sujet rejoignent les thèmes de l’Activité et de l’Autonomie, et partent du principe qu’il n’y a pas de socialisation sans activité. C’est donc par l’activité que nous voulons renforcer la socialisation et l’autonomie.
Aujourd’hui, après 16 ans, on n’est plus obligé d’aller à l’école mais on n’est pas encore majeur. Cette période est vraiment clé car elle peut devenir, pour certains jeunes, une véritable école de l’inactivité. Ainsi la ville propose des jobs été qui permettent d’accéder à une première expérience professionnelle entre 16 et 17 ans. En 2019, ce sont 69 jeunes qui ont pu renforcer les équipes de la ville et découvrir le sens des missions du service public.
Dans la même logique, la ville met en place des jobs verts qui, en 2019, ont permis à 33 jeunes de travailler 4 samedis par mois avec les équipes de la propreté de la ville. Depuis 2015, la ville a également mis en place le Contrat local initiative jeunesse (CLIJ) qui permet d’accompagner et de financer les projets de jeunes âgés de 15 à 25 ans.
L’ambition est simple : personne ne doit être laissé au bord du chemin.
Vous croyez beaucoup en l’apprentissage ?
Oui. La ville des Mureaux donne sa chance à la jeunesse en s’appuyant sur des apprentis. Chaque année, ce sont plus de 30 jeunes Muriautines et Muriautins qui intègrent les services municipaux en tant qu’apprentis (du niveau CAP au niveau Master) pour y vivre leur première expérience longue en y apportant leur regard de jeune professionnel.
Dans la cadre d’un plan initié par la préfecture de région, la ville des Mureaux a également construit un partenariat avec le château de Versailles. Depuis 2018, celui-ci porte sur la découverte des métiers d’art de la demeure du Roi Soleil. Tapissier, parqueteur, jardinier, marbrier, fontainier… Une fois par mois, tandis que le château est fermé aux visites, les Muriautines et Muriautins ont un accès exclusif à ces professionnels qui donnent son lustre au château. L’occasion pour ces bénéficiaires âgés de 14 à 30 ans, de comprendre les coulisses de ce lieu légendaire et, pour certains, de trouver leur vocation.
Avec le soutien financier d’ArianeGroup et de la préfecture des Yvelines, nous avons mis en place le Contrat municipal étudiant qui constitue une bourse pour les Muriautin(e)s qui intègrent une grande école. Ainsi la ville encourage la réussite scolaire et l’égalité des chances et donne la possibilité aux jeunes de poursuivre des études supérieures auxquelles ils auraient dû, sans aide, renoncer en raison de leur situation sociale. Depuis sa création en 2004, ce sont 117 Muriautines et Muriautins qui ont bénéficié de cette aide pour intégrer de grandes écoles : institut d’études politiques, écoles de commerce, école d’ingénieur…
Nous avons proposé mettre en place une démocratie implicative avec la création d’un indice du bonheur.
Comment formuler la philosophie générale de votre projet ?
Lors de notre dernière campagne électorale, nous avons proposé mettre en place une démocratie implicative avec la création d’un indice du bonheur. Cet indice du bonheur ou indice qualité de la vie communale, est un projet de long terme, sur 10 ans, avec deux niveaux : un niveau systémique de mise en place du dispositif et un niveau concret de mise en œuvre locale et quotidienne.
Ainsi la notion de propreté, qui est une question globale et systémique, se déclinerait en de nombreux sous domaines (entretien des espaces verts, ramassage des ordures…). Cet indice serait construit avec une notation par les habitants mais aussi par les 35 agents des services municipaux en charge de ce secteur, sur la façon dont les habitants y contribuent.
Mais bien sûr d’autres domaines qui touchent la vie des gens seront évalués comme la vie quotidienne, la vie environnementale, la sécurité routière, les activités commerciales, les services de santé, l’accompagnement des seniors…
Chaque indice de ces sous-domaines serait pondéré pour aboutir à un indice global. Nous voulons aussi avoir l’avis du maximum de personnes possibles, et notamment des «invisibles».
Cette démocratie implicative doit aussi être un outil d’éducation, individuelle et collective, de développement de comportement positif, par exemple les gants pour le ramassage des déjections des chiens. Le Conseil municipal des enfants y contribue. Un Conseil des seniors, un Conseil des lycées devront aussi donner leur avis. D’une manière générale, les jeunes doivent avoir une place plus importante par exemple en intégrant les bureaux des associations sportives. Dès cet âge, on doit comprendre qu’être citoyen, ce n’est pas un statut passif mais un rôle actif.
Votre expérience pourrait-elle être transposée au niveau national ?
Nous avons travaillé sur ces questions et formulé 70 propositions en matière de formation, qui ont été remises aux présidents de la République François Hollande puis Emmanuel Macron. La philosophie générale est que nous avons supprimé de très nombreux centres techniques, systèmes de formation pratique et de proximité, au bénéfice d’une formation plus générale recentrée sur l’Éducation Nationale. C’est une erreur et nous devons réarticuler la formation, en s’appuyant aussi sur l’évolution des temps d’âge. Nous y proposons, entre autres et par exemple, que l’apprentissage soit mis sous la Tutelle du Ministère du Travail.