La Métropole de Lyon est devenue un laboratoire de portée nationale
Entretien avec Émeline Baume, Première Vice-Présidente de la Métropole de Lyon


Lyon est l’une des Métropoles qui ont basculé sous la Direction écologique. C’est donc un laboratoire vivant de transformations profondes, sensibles, dans de nombreux domaines de la vie économique, du développement d’activité, de l’aménagement… que nous présente la 1ère Vice-Présidente ! Un rééquilibrage social, environnemental et économique est en cours !


Biologiste de formation, avec trois Bac+5 – en biologie, communication et économie – fille de paysans, Émeline Baume a acquis à la ferme de ses parents une sensibilité au vivant qui n’a rien d’intellectuelle. Elle a adhéré aux Verts en 2000. Ancienne conseillère métropolitaine, déléguée à l’Économie circulaire et la Prévention des déchets, avant d’être nommée Vice-Présidente.

La Présidence de la Métropole de Lyon, élue courant 2020, défend un projet original. Pouvez-vous nous le présenter dans ses grandes lignes ?
Le projet politique défendu devant les électeurs a deux volets :
1. Un projet de transition écologique, de décarbonation selon la Stratégie nationale bas carbone, de sobriété, de défense de la biodiversité.
2. Un projet de justice sociale original en ce sens que la Métropole de Lyon a aussi les compétences de département, et donc du Revenu de Solidarité Active (RSA), d’insertion, de PMI… d’où une volonté que chacun trouve sa place sur le territoire, quels que soient les difficultés et accidents de parcours rencontrés.
La justice territoriale est aussi au cœur du projet sous forme de rééquilibrage entre les zones riches et les autres.

La transformation des territoires pour répondre aux besoins de base des habitants, d’implantation de l’économie circulaire, de développement des chaînes de valeur autour des filières de l’alimentaire, du BTP, de l’énergie et du textile

La feuille de route en matière de transition écologique comprend :
a) Un accompagnement des process vers le territoire bas carbone.
b) Zéro artificialisation des sols, le foncier agricole reste du foncier agricole, le foncier économique est à réduire.
c) Une réimplantation de petites activités de production, avec le souci de redonner des capacités de production sur le territoire, de valoriser les marchés de niche, de cultiver l’existant, de jouer un effet d’entrainement vers les jeunes…
d) En matière d’économie, la transformation des territoires pour répondre aux besoins de base des habitants, d’implantation de l’économie circulaire, de développement des chaînes de valeur autour des filières de l’alimentaire, du BTP, de l’énergie et du textile. Sur le textile, qui correspond à une vraie culture locale, nous n’avons pas sur place toute la chaîne de valeur, mais nous pouvons organiser des solutions, notamment autour de l’ESS, qui créeront de l’activité féminine.

L’ESS et l’économie circulaire doivent travailler sur les trois impacts (carbone, social et coopération) avec l’idée qu’il vaut mieux faire fonctionner des solutions collectives

e) Le levier de l’achat responsable est une énorme opportunité : d’une part parce qu’il n’y a pas encore de tradition ; mais aussi parce que la Métropole, qui a une compétence d’insertion, peut faire jouer des clauses sociales, environnementales, en intégrant la prise en compte des impacts sociaux, de décarbonation et de coopération. Nous ne devons pas mettre la barre trop haute immédiatement, mais chercher à atteindre nos objectifs sur les trois ans à venir.
Ce levier jouera sur l’alimentation (avec les restaurants scolaires), sur le textile (en direction des ETI), sur le Bâtiment et l’énergie par des Centrales d’achat…
f) L’économie de proximité (vivre, travailler et consommer au pays, et pas sur Internet) demande des outils et une démarche collective, en jouant sur le foncier commercial, sur les tiers lieux, sur de la réimplantation en cœur de ville, en garantissant la vitalité des rez-de-chaussée.
Il n’y a pas de sujets « Centre Commercial » sur Lyon même, mais c’est un sujet de coopération et de négociation avec les communes voisines, car les hard discounter ayant compris que le centre-ville leur était « interdit » au profit d’AMAP et d’entreprises à tarification sociale, cherchent à s’implanter à la périphérie.

Qu’en est-il des opérations de décarbonation ?
La délibération n’a pas encore eu lieu. Il y a un sujet autour des matériaux biosourcés et autour des questions de compétences. Les 59 Communes n’ont pas encore travaillé sur le sujet bien qu’un chef de projet ait été recruté.
L’ESS et l’économie circulaire doivent travailler sur les trois impacts (carbone, social et coopération) avec l’idée qu’il vaut mieux faire fonctionner des solutions collectives, plutôt que d’investir sur une pépite rare mais isolée. L’agence de développement (qui est une structure importante et qui a beaucoup contribué au développement du tertiaire et des sièges sociaux à Lyon, et donc à l’embellissement de son centre) va travailler dans ce sens.
Nous devons aussi apprendre à maintenir le tissu industriel et à requalifier les Zones industrielles et artisanales : ce ne sont pas des friches comme dans les Hauts-de-France, ni des zones mono-industrie comme à Toulouse, et les questions sont plutôt des questions de voirie.

Notre crainte est que les plans de relance n’agissent pas sur le long terme, ne centre pas les investissements sur le futur et que l’on perde une occasion de transformation profonde

Paradoxalement, sobriété et décarbonation sont des opérations lourdes, qui demandent de forts investissements. Qu’en est-il du plan de relance gouvernemental, du Green Deal européen ?
Ces plans sont beaucoup centrés sur l’énergie et on ne voit rien redescendre vers les territoires. Il y a sur les questions de rénovation thermique notamment beaucoup de problèmes de surcoûts, de manque de compétences, mais aussi d’organisation du secteur qui restent très segmentés sans qu’une vraie filière compétitive ne se soit mise en place. Certes, on a des chantiers exemplaires, mais cela ne fait pas une filière.
On a là un gros sujet et nous voulons y aller d’autant plus qu’il y a beaucoup de précarité énergétique sur l’agglomération, et que ce secteur pourrait être fortement créateur d’emplois. Mais pour l’instant nous n’avons pas la main.
Notre crainte est que les plans de relance n’agissent pas sur le long terme, ne centrent pas les investissements sur le futur et que l’on perde une occasion de transformation profonde, avec pour principal effet un mur de dettes.
Outre le sujet de formation, il y a aussi un sujet d’approvisionnement, de foncier et de logistique notamment pour la démolition (le BTP nous réclame de l’espace, qui est cher, et a des charges logistiques importantes (en termes de logistique du dernier km).

Sur cette question de l’emploi et des compétences quelles sont vos réflexions ?
Il faut renforcer l’apprentissage, ouvrir les entreprises sur les territoires, changer les représentations mentales des jeunes, et nous travaillons avec l’UIMM et les Chambres de Métiers pour valoriser tous les métiers de faiseurs et de producteurs. Nous voulons créer une coopérative d’activité et d’emplois, soutenir les prescripteurs et les conseillers d’insertion. Il existe une Fondation territoriale qui réunit une Fondation ESS et d’autres Fondations pour développer l’innovation sociale et territoriale, expérimenter autour de Tiers-lieux et de FabLab … en relation avec des comptes clés.
La Fondation ESS existe depuis deux ans, et c’est pour nous une façon d’entreprendre tout à fait pérenne, qui n’a rien d’une niche mais qui est au contraire une solution importante. Tous les développeurs économiques ont été formés à l’ESS, aux SCOP…
Sur les questions de formations et de compétences, notre handicap est que ce n’est pas notre compétence, (partagée avec la Région et l’État). Nous travaillons au sein du GIE qui est la Maison Métropolitaine de l’Insertion et de l’Emploi qui est un opérateur sur la Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences, et a entre autres accompagné les commerçants aux actions de digitalisation de leurs activités.

Faire évoluer l’entreprise traditionnelle vers la Responsabilité sociale et sociétale, éventuellement élargie à l’ensemble du territoire, n’est-ce pas aussi un objectif ?
Si, avec des grosses entreprises « militantes » (nos comptes clés), dans le bâtiment, le textile, l’environnement, nous soutenons ces évolutions vers des pratiques ouvertes et responsables, et nous nous appuyons sur les questions d’achats responsables. Il y a de l’attente.

L’action de la Métropole porte aussi sur l’aménagement territorial. Pouvez-vous en nous présenter la philosophie ?
Notre action de justice sociale, nous l’avons dit plus haut est une action de rééquilibrage territorial, entre schématiquement l’Est qui est pauvre, Lyon Centre qui est développé et l’Ouest plus riche.
En matière de transport, un énorme plan d’investissement a été voté, qui renforce la mobilité sans obliger à passer par le Centre.
En termes de logements, 6 000 logements sociaux ont été programmés sous la direction de l’Office foncier solidaire qui est très bien doté.
Ces plans s’articulent avec les plans de développement du commerce et des Zones industrielles et artisanales ; mais aussi avec le Plan Collèges à l’Est qui a vu le nombre de ses jeunes exploser, alors que les services publics ne suivaient pas.
Cette politique passe par de la coopération territoriale avec les voisins : on a besoin de ces voisins, pour la production agricole, et d’énergie ; nous voulons fortement réduire les déplacements pendulaires, en travaillant sur les implantations d’activités en local sur les diverses zones, en implantant des lieux de télétravail, en favorisant une mobilité collective quand cela est possible. La mise en place d’un TER n’est pas encore possible du fait de non alignement politique de certaines collectivités.

Et en matière d’innovation ?
Nous avons besoin d’innovation, y compris technologique, mais celle-ci n’a de sens que si elle est travaillée collectivement. L’innovation a plusieurs entrées :
– Technologique et les écologistes sont attendus au tournant
– Sociale : il ne semble pas qu’il y ait de problème
– Organisationnelle et territoriale : là est le vrai sujet.
C’est celui des Communs, où il faut agréger toutes les diversités pour répondre aux besoins du territoire.

Propos recueillis par Didier Raciné, rédacteur en chef d’Alters Média

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