
Où devrons-nous vivre à l’avenir ? Dans de grandes villes très denses, en pleine campagne, dans des zones pavillonnaires très étalées… ? Ces choix individuels sont aussi des choix collectifs et cet article pose la question du type d’urbanisme que le changement climatique nous conduira à choisir – collectivement, sous peine de dérèglements majeurs.
Les débats sur le changement climatique appellent parfois des images champêtres de retour à la nature. Une vie bucolique, loin des tourments citadins et de la pollution qui les accompagne. Adopter un mode de vie contemporain en dehors du milieu urbain conduit pourtant à une augmentation nette de l’empreinte carbone par habitant. La réduction de nos émissions passe par la ville. Malgré un niveau encore bien trop élevé, l’environnement urbain est déjà celui qui minimise les émissions par habitant. Mieux, c’est aussi celui qui offre l’un des plus importants potentiels pour atteindre la neutralité carbone.
Adopter un mode de vie contemporain en dehors du milieu urbain conduit pourtant à une augmentation nette de l’empreinte carbone par habitant.
La ville permet en effet de construire un habitat dense. Cela rend possible une réduction de l’intensité carbone des deux principaux postes d’émissions directement attribuables à un ménage, le transport (28 % du total par individu) et le logement (24 %) (1). Un tissu urbain dense favorise la proximité entre logement, lieu de travail et commerces. La réduction des distances à parcourir au quotidien donne dès lors toute sa place aux déplacements réalisés à pied ou à vélos. Une densité plus importante rend par ailleurs possible l’utilisation des transports collectifs en lieu et place du véhicule privé. Les émissions liées aux déplacements d’un ménage vivant en cœur d’un pôle urbain sont ainsi deux fois inférieures (2) à celles d’un ménage périurbain ou rural. Le développement des véhicules électriques ne change pas l’importance du recours aux transports collectifs pour atteindre la neutralité carbone : si une voiture électrique émet cinq à six fois moins qu’un véhicule essence classique, à 22 gCO2/km, le tramway par exemple ne dépasse pas 4 gCO2/km par passager transporté en moyenne (3).
Par ailleurs, les logements urbains sont également plus petits, et très majoritairement mitoyens, ce qui réduit sensiblement les besoins de chauffage. La surface moyenne par habitant n’est que de 32 m2 dans l’unité urbaine parisienne, quand elle est pour moitié supérieure en milieu rural (4). La réduction de surface implique bien sûr une réduction du besoin d’énergie de chauffage. Ce gain d’efficacité est encore renforcé par la limitation des pertes d’énergie sur les surfaces non exposées à l’extérieur dans les maisons de ville et les appartements. Mais une plus faible surface, c’est également une consommation d’électricité réduite, et une diminution du volume total de biens de consommation stockables au sein du logement – électroménager et meubles notamment – qui permettent une réduction complémentaire de l’empreinte environnementale totale de l’habitat.
Le GIEC estimait ainsi dans son dernier rapport que 50 % à 70 % de la réduction des émissions nécessaires à l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris passaient par la ville (5). C’est plus vrai encore dans un pays comme la France. Au niveau mondial, les sources de GES peuvent se décomposer en cinq grandes catégories – transport, habitat, production d’électricité, industrie et agriculture. Le parc nucléaire a fait de l’électricité française l’une des plus décarbonées d’Europe. La perte de compétitivité des secteurs énergo-intensifs et les délocalisations successives ont par ailleurs grandement diminué le poids de l’industrie au sein des émissions françaises depuis les années 1990. L’enjeu climatique en France se joue donc avant tout sur le transport et le bâtiment.
Renouveler le tissu urbain en favorisant un renforcement de sa densité ne va pas sans soulever des difficultés. La plus importante relève de l’acceptabilité : la perspective esquissée plus haut, de pôles urbains denses aux logements compacts, ne correspond pas nécessairement aux aspirations de la majorité des français. Pire, la mention en France du terme « densité urbaine » n’évoque parfois que la seule vision du centre de Paris, dont les caractéristiques en matière de coût et de qualité de vie ne font pas l’unanimité. Or il est très important de noter que les vingt arrondissements parisiens forment un cas paroxystique de densité urbaine, à plus de 20 000 hab/km2 – très supérieure à celle des autres principales métropoles françaises, qui s’échelonnent pour la plupart (6) entre 3 000 et 6 000 hab/km2. Les bénéfices détaillés précédemment sont pour autant tout à fait observables à ces niveaux plus modestes de densité, notamment en matière de transports collectifs.
Le GIEC estimait que 50 % à 70 % de la réduction des émissions nécessaires à l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris passaient par la ville.
Par ailleurs, l’aspiration à la maison individuelle reste très forte au sein du pays. Une enquête sociologique réalisée en 2017 sur plus de 3 800 personnes concluait ainsi que « [l]es Français valorisent la maison individuelle isolée qu’ils visualisent comme l’option, pour eux, la plus souhaitable » (7). L’avance de la maison individuelle isolée sur les autres formes d’habitat est particulièrement frappante : 56 % des sondés lui accordaient leur préférence, 36 points devant la maison individuelle en milieu pavillonnaire, seconde option favorite.
Cette préférence française pour la maison individuelle est renforcée par le coût attractif de l’habitat périurbain pavillonnaire, sensiblement inférieur aux logements de centre-ville. La crise des gilets jaunes, que beaucoup d’analystes ont identifié comme une « crise du périurbain » (8), est venue rappeler combien nombre de Français avaient dû s’éloigner toujours plus du centre des bassins d’emploi pour y chercher des logements plus accessibles – et des territoires où ils pourraient accomplir leur rêve de maison individuelle.
Il est indispensable de prendre en compte ces réalités dans la construction des politiques climatiques de la ville. Favoriser aveuglément un modèle urbain qui ne répond pas aux désirs de la majorité ne pourrait conduire qu’à un rejet. La mise en place de politiques incitatives ou règlementaires visant à décourager l’habitat pavillonnaire risquerait d’autre part d’être perçu comme socialement régressif si elles conduisaient à un retour en appartement.
Sortir du modèle pavillonnaire est pourtant nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Un modèle d’aménagement du territoire qui favorise l’étalement urbain et aggrave l’extension de l’artificialisation des sols ne saurait être compatible avec nos objectifs environnementaux. Il existe pourtant des exemples d’urbanisme permettant de concilier pour partie contraintes environnementales et désir d’habitat individuel. Nombre de villes néerlandaises en offrent un excellent exemple.
L’urbanisme hollandais illustre la possible alliance entre un habitat centré autour de la maison individuelle et un tissu urbain compatible avec la mobilité décarbonée.
Dès leur essor au XVIe siècle, les principaux centres urbains des Pays-Bas se sont constitués autour de maisons de villes étroites mais individuelles, disposant pour la plupart de leur propre jardin privatif. Ce modèle d’urbanisme s’est propagé à l’ensemble du pays, même dans les petites et moyennes agglomérations : c’est aujourd’hui près de 80 % des Hollandais qui habitent une maison, contre 68 % en France (9). Pourtant, cette prévalence de la maison sur l’appartement ne s’est pas faite au prix de la densité de l’habitat : la ville de Delft par exemple, pourtant de taille modeste (10) compte plus de 4 500 hab/km2. La différence majeure réside dans la prépondérance de la maison de ville : plus de 60 % des Hollandais y résident, contre seuls 20 % des Français. Les bénéfices en matière de transport décarboné y sont donc préservés : 36 % des Hollandais réalisent par exemple leurs déplacements quotidiens à vélo, contre 4 % en France.
L’urbanisme hollandais illustre la possible alliance entre un habitat centré autour de la maison individuelle et un tissu urbain compatible avec la mobilité décarbonée. Un tel modèle permet également de limiter l’étalement urbain, autre objectif environnemental majeur. Il n’est mentionné ici qu’à titre d’exemple – bien d’autres formes urbaines pourront bien entendu aider à accomplir la transition énergétique. Mais quelle que soit la palette de tissus urbains finalement favorisée par nos politiques climatiques, il sera nécessaire de respecter simultanément les contraintes identifiées ici : favoriser une réorientation des villes petites et moyennes vers un habitat plus urbain et plus dense, répondre au désir de maison individuelle exprimé par la population, et s’assurer que les logements des tissus urbains redessinés soient accessibles au plus grand nombre. Un modèle ne répondant qu’aux objectifs de la neutralité carbone sans considérer pleinement les exigences d’acceptabilité sociale ne pourra réussir.
Aurélien Saussay
(1) L’empreinte carbone de la France, Rapport sur l’état de l’environnement, décembre 2020.
(2) INSEE Première 1357, juin 2011.
(3) ADEME – Optimiser ses déplacements, « Les impacts de la mobilité actuelle », août 2015.
(4) Les conditions de logement en France, édition 2017 – Insee Références
(5) Summary for Policymakers, AR5, GIEC 2018
(6) À l’exception de Lyon, à 10 000 hab/km2.
(7) Julien Damon, « Les Français et l’habitat individuel : préférences révélées et déclarées », SociologieS, Dossiers, Où en est le pavillonnaire ?, février 2017.
(8) Les gilets jaunes : simple révolte anti-métropolitaine ou symptôme d’une crise plus profonde ?, La Fabrique de la Cité, mars 2020.
(9) Les conditions de logement en France, édition 2017 – Insee Référence.
(10) 101 030 habitants en 2015, Bureau Central de la Statistique des Pays-Bas.