
Dans le cadre du cycle Renaissance industrielle conçu et organisé par la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, son président Olivier Mousson nous ouvre les portes de l’Hôtel de l’Industrie et nous parle de la mission de cette société savante née il y a 220 ans, de son ancrage historique et de la permanence de son rôle dans le contexte des mutations économiques et sociétales que nous vivons en 2021.
Quel a été le rôle et la place de la Société d’Encouragement dans l’histoire de l’industrie en France, son ambition originelle et ses objectifs premiers ?
La Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale a été créée en 1801 par des hauts fonctionnaires, des scientifiques et des entrepreneurs, avec pour objectif très clair de faire naître l’industrie en France, avec l’innovation comme orientation première de son action. Dès son origine, cette société savante édite un bulletin mensuel pour consigner les innovations françaises et échanger avec les autres sociétés savantes dans le monde. C’est ainsi que nous disposons aujourd’hui d’une collection unique de 30 000 ouvrages scientifiques et techniques français et étrangers.
L’Hôtel de l’Industrie devient dès cette époque le tiers-lieu de l’innovation de Paris, indépendant, fonctionnant sans argent public
En 1850, la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale s’installe à l’Hôtel de l’Industrie, un hôtel particulier dédié à l’innovation au cœur de Saint-Germain-des-Prés, qui devient alors son siège et le restera. Y sont abritées une bibliothèque, une salle d’exposition des machines et des salles de conférence pour présenter les découvertes de l’époque : l’une des plus fameuses conférences fut la présentation en mars 1895 par Louis Lumière de son premier film (La sortie des usines Lumière). Léon Gaumont, présent à cette occasion, crée le lendemain son entreprise de production cinématographique.
L’Hôtel de l’Industrie devient dès cette époque le tiers-lieu de l’innovation de Paris, indépendant, fonctionnant sans argent public, où se retrouvent les pionniers de l’industrie. Sa contribution au développement de l’industrie lui a valu d’être la première association reconnue d’utilité publique, statut spécialement créé pour elle en 1824. Les dons effectués, sous forme de prix, pour soutenir les inventeurs et les entrepreneurs, étaient considérés comme du mécénat pour les donateurs avec des avantages fiscaux.
Est-ce que l’on retrouve tout cela actuellement ?
La Société d’Encouragement réside toujours à l’Hôtel de l’Industrie, 4, place Saint-Germain-des-Prés, et a gardé depuis plus de deux siècles son indépendance et son statut d’utilité publique.
L’innovation reste au cœur de notre modèle. Notre écosystème catalyseur d’intelligence collective repose toujours sur ses quatre piliers fondateurs:
– encourager les entrepreneurs
– transmettre les innovations
– valoriser les savoir-faire français
– conserver les patrimoines industriels.
À ce titre, chaque année, les prix Chaptal sont décernés à des grands capitaines d’industrie (Dassault, Michelin, Bouygues, Bolloré…), les prix Montgolfier (Doctolib, Ynsect… ) récompensent des start-up, les prix Franco-fil, des projets dans le domaine du développement durable en France et dans les pays francophones, les prix Dermagne mettent à l’honneur des institutions qui œuvrent au rayonnement international de la France (Institut Pasteur, UniFrance…).
Enfin, l’Hôtel de l’Industrie a entre autres pour missions de :
– promouvoir les entrepreneurs engagés à l’occasion de la rencontre annuelle de « Mise en lumière pour le climat »
– encourager l’entrepreneuriat des femmes à travers le forum annuel « Regards de femmes »
– favoriser le développement de l’entrepreneuriat francophone et francophile via la plateforme numérique dédiée Franco-Fil et son concours
– héberger et accélérer le développement de l’Académie de l’intelligence économique (AIE).
Quelles sont vos relations avec le monde de la formation ?
Après la Seconde Guerre mondiale, nos moyens financiers ayant beaucoup diminué, mes prédécesseurs ont loué les locaux de l’Hôtel de l’Industrie de manière permanente à des écoles (écoles de journalisme et de commerce) au détriment des missions premières de la Société d’Encouragement. Nous avons fait le choix de revenir depuis une vingtaine d’années à notre modèle initial de tiers-lieu de confiance pour l’innovation, même s’il nous arrive toujours de monter des formations spécifiques à notre propre initiative, comme par exemple l’Institut des stratégies industrielles, conçu en partenariat avec le ministère de l’industrie. Nous restons bien sûr en partenariat avec plusieurs grandes écoles et universités pour faire venir leurs étudiants à nos manifestations.
Et avec les territoires ?
Dans le passé, la relation entre la Société d’Encouragement avec les territoires (à l’époque les provinces) a été forte : après avoir soutenu la création de la Société d’Encouragement, Bonaparte a mis en place les préfets par département et ravivé les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) avec pour mission de promouvoir l’industrie ainsi que l’esprit d’entreprendre dans les territoires. Au XXe siècle, la politique industrielle s’est davantage conçue à Paris que dans les territoires. Nous pensons qu’au XXIe siècle une stratégie industrielle de puissance pour la France doit passer, certes, par une politique industrielle déterminée de l’État français, mais aussi par un partenariat avec les régions et par une Europe puissance essentielle dans le domaine de la recherche et de l’industrie.
Au XXIe siècle, une stratégie industrielle pour la France doit passer aussi par un partenariat avec les Régions et par une Europe puissance
La crise actuelle peut être une opportunité pour accélérer la réindustrialisation de la France, en mobilisant dans les territoires les acteurs industriels, les associations et les institutions autour de cette ambition commune de faire renaître notre industrie.
Les trois rencontres du cycle Renaissance industrielle lancé fin 2020 en partenariat avec la Banque des territoires et sous le haut patronage d’Agnès Pannier-Runacher, ministre auprès du ministre de l’Économie chargée de l’Industrie, sur les thèmes de la souveraineté industrielle, du dynamisme industriel des territoires et de l’intelligence artificielle dans l’industrie, ont montré l’intérêt de réunir des acteurs d’horizons différents dans les territoires pour mettre en commun leurs visions, leurs histoires et leurs énergies pour contribuer à la renaissance industrielle de la France.
Un Livre blanc sur la Renaissance industrielle sortira en 2022 pour faire remonter les bonnes pratiques et des propositions d’action
Le premier événement régional est prévu en Île-de-France avec la présidente de région Valérie Pécresse. D’autres évènements sont ensuite programmés en Auvergne–Rhône-Alpes, Grand Est, Nouvelle Aquitaine, Occitanie…, avec l’appui des régions, des CCI, de Business France, et bien sûr des entreprises industrielles et du Patrimoine vivant.
Un Livre blanc sur la Renaissance industrielle sortira en 2022 pour faire remonter les bonnes pratiques et des propositions d’action. Il faut par exemple continuer de réduire les impôts de production, alléger le poids des formalités administratives et baisser le coût du foncier pour les implantations industrielles, mais aussi faire en sorte que les entreprises qui innovent soient plus rapidement repérées et aidées par la sphère financière. Les pays les plus innovants sont les pays qui ont un système de financement très réactif, proche des entreprises dans les territoires. Il nous faut trouver les moyens de créer des Fonds régionaux pour permettre de stimuler les initiatives en faveur de l’esprit d’entreprendre, et de l’industrie dans les territoires.
L’idée de ce Tour de la France industrielle est également de créer des équipes Industrie France-Régions. L’initiative gouvernementale des Territoires d’industrie est une bonne illustration de ce qui marche. Ce qui manque le plus, ce n’est pas l’envie de l’industrie dans les territoires, c’est une vraie vision et stratégie de puissance industrielle au niveau national, les valorisations et soutiens de projets et développements spécifiques au niveau local et les liens entre les acteurs. C’est l’esprit de coopération et de transversalité opposé à l’esprit d’une France qui fonctionne trop en silos.
Nous sommes également en train de préparer un cycle de conférences sur l’Europe puissance industrielle en partenariat avec le Mouvement européen France.
Le manque de lien entre la vérité et la science, le dénigrement de l’industrie, le manque de lien entre formation et industrie, les pertes de capacités du système de formation en France dans un domaine aussi central que les mathématiques, sont des obstacles au développement de l’industrie. Comment les surmonter ?
En montrant une image forte de la science et de l’industrie, en donnant la parole aux ingénieurs, aux scientifiques, aux entrepreneurs, en valorisant l’esprit d’entreprendre, notamment auprès des jeunes, des garçons et aussi des filles. Nous avons par exemple lancé depuis quelques années un concours de photo industrielle auprès des étudiants pour les amener à visiter des usines et réaliser que les conditions de travail dans l’industrie ont bien changé.
L’Hôtel de l’industrie reste un tiers-lieu de confiance où, avec nos partenaires (institutions, associations, fondations, entreprises) sont organisés des colloques tous les jours, pour servir de levier à des start-up, faire le lien et accélérer la valorisation de l’innovation entre les mondes scientifique, académique, industriel et politique.
La réindustrialisation de la France passera par un travail de revalorisation de l’industrie et de ses acteurs, par la promotion du « Made in France » avec une marque France porteuse de sens, dans le respect des normes sociales et environnementales. Nous avons une belle jeunesse qui a envie de sens, une jeunesse qui se projette dans le monde d’après. C’est pour cette jeunesse que nous agissons, pour cette jeunesse prête à prendre le relai et à être actrice de cette renaissance industrielle.
Propos recueillis par Didier Raciné, rédacteur en chef d’Alters Média