
L’efficacité énergétique représente un gisement de 60 % des gains en matière d’énergie-climat. La rénovation thermique des bâtiments en est la partie majeure. Elle a échoué jusqu’ici car les décideurs n’ont aucune connaissance des réalités du terrain. C’est cette analyse et des propositions concrètes et détaillées qui sont présentées ici.
En 2009, la loi Grenelle (1) stipulait que l’État se fixait comme objectif de réduire la consommation d’énergie des bâtiments existants de 38 % d’ici 2020. Force est de constater l’échec de cette ambition pourtant réitérée par les gouvernements suivants qui ont rappelé la nécessité de rénover 500 000 logements/an. Comment expliquer un tel écart entre volonté affichée et résultats observés ? Le secteur de la rénovation est l’objet de très nombreuses controverses dont beaucoup d’entre elles n’existeraient pas si les décideurs avaient une meilleure connaissance des réalités du terrain.
Les enjeux de la rénovation
La crise climatique est évidemment un enjeu majeur auquel entend répondre la rénovation. Mais ce n’est pas le seul, et il serait dangereux de l’oublier. Notre monde est confronté à une raréfaction des ressources (matériaux, énergie, alimentation, etc.), à de nombreuses pollutions dont celle de l’air désormais à l’origine de 8 % des décès en France, à une disparition de la biodiversité, à une crise sociale consécutive à des inégalités croissantes, à une précarité énergétique grandissante, etc. Il convient donc de trouver des réponses globales. Le bâtiment est une cible majeure car il est le second secteur émetteur de gaz à effet de serre, il consomme 45 % de l’énergie, 6,8 millions de ménages consacrent plus de 10 % de leur budget à celle-ci et sont donc en précarité énergétique. C’est aussi là qu’il est le plus facile d’agir aujourd’hui. Ce faisant, on améliorerait le confort des habitations dont on réduirait aussi l’insalubrité et les nombreuses pathologies sanitaires encore fréquentes. Rénover les bâtiments est un impératif.
Le bâtiment est une cible majeure car il est le second secteur émetteur de gaz à effet de serre, il consomme 45 % de l’énergie.
La loi de transition énergétique de 2015 impose qu’en 2050 le parc soit rénové au niveau BBC (Bâtiments Basse Consommation, soit le niveau A ou B de l’étiquette énergie actuelle). Il s’ensuit que 22 millions de logements doivent être rénovés à raison de 700 000 par an contre 30 000 aujourd’hui auxquels s’ajoutent plusieurs milliers de « gestes » pas très efficaces mais coûteux. La facture serait de 25 milliards d’euros jusqu’en 2050.
Un sujet mineur pour la classe politique
Les politiques n’ont jamais trouvé d’intérêt à la rénovation, à l’image d’Édouard Philippe pour qui elle coûterait cher et ne rapporterait rien. Les mesures mises en place jusqu’ici sont plutôt inefficaces à en juger par les rapports de la Cour des Comptes1 et du Conseil Général du Développement Durable (2). Mais certaines études internes ont contribué à ce désintérêt comme ce rapport de Bercy (3) démontrant au moyen d’équations complexes qu’en rénovation seuls les robinets thermostatiques et les thermostats d’ambiance sont rentables à l’exclusion de toute autre disposition. Ce type d’études met en relief le décalage entre la réalité du terrain et la perception qu’en ont les ministères. C’est le premier frein identifié : l’exécutif est convaincu que rénover coûte cher et ne rapporte rien, ce qui explique pourquoi il met en place de nouvelles règles (4) imposant les convecteurs électriques en rénovation sans avoir à faire de lourds travaux sur l’isolation. Pour lui, décarboner revient à électrifier les usages thermiques sans réduire les besoins.
Une stratégie construite sur deux erreurs majeures
La stratégie française est construite, comme ailleurs en Europe, sur l’incitation des ménages à rénover. On propose des subventions dont on attend qu’elles motivent l’action. Mais cette approche a échoué partout. Les meilleurs résultats sont ceux de l’Allemagne avec 30 000 logements BBC/an alors qu’elle devrait en rénover un million. Autant dire rien. La France peut continuer à rêver et imaginer que, spontanément, 700 000 ménages investiront tous les ans dans la rénovation BBC de leur logement. Mais c’est nier une évidence et perdre un temps précieux conduisant à un échec collectif. Il est temps de prendre conscience, malgré le désagrément, que seule l’obligation à rénover permettra d’atteindre un rythme d’action suffisant.
Seule l’obligation à rénover permettra d’atteindre un rythme d’action suffisant.
La seconde erreur est de croire qu’en procédant par petits travaux successifs, en général mal dimensionnés et mal coordonnés, chaque logement sera au niveau BBC en 2050. C’est toujours 20 à 25 % plus cher que faire les travaux en une seule fois, beaucoup moins performant faute de traiter certaines tâches (étanchéité à l’air, ventilation double flux, interfaces entre lots techniques). C’est aussi non finançable ce qui conduit finalement à ce que les travaux ne soient jamais terminés et qu’on « tue » le gisement d’économies d’énergie. Il n’existe aucun exemple de rénovation menée à son terme par cette méthode.
La bonne stratégie est de rendre acceptable l’obligation de rénover. Il faut pour cela qu’au moyen d’un guichet unique on offre un financement à chaque ménage et que celui-ci gagne si possible de l’argent dès la fin des travaux. Il s’agira d’un prêt à taux zéro accordé exclusivement aux rénovations complètes et performantes, celles dont les travaux sont faits en une seule fois (ce qui est le moins cher) et au niveau BBC car elles maximisent l’économie d’énergie et d’argent. Il couvrira tous les travaux (avec certains plafonds) et sa durée ira jusqu’à 30 ans afin que l’annuité de remboursement soit inférieure aux économies de chauffage, générant ainsi un bénéfice. Après suppression des aides existantes et aux conditions actuelles d’emprunt, la rénovation de 700 000 logements coûterait chaque année à l’État entre 2 et 3 milliards d’euros.
La bonne stratégie est de rendre acceptable l’obligation de rénover.
Enfin, rappelons qu’en cas d’atteinte portée aux conditions d’exercice du droit de propriété, le Conseil Constitutionnel examine si celle-ci est justifiée par des motifs d’intérêt général, ce qui serait à l’évidence le cas pour le changement climatique.
Une notion de la rentabilité appelée à évoluer
On évalue encore souvent l’intérêt de la rénovation par le temps de retour sur investissement, sans pour autant que celui-ci soit calculé correctement en intégrant la hausse du prix de l’énergie et un taux d’actualisation raisonnable. Mais le particulier ne raisonne pas ainsi : pour lui ce concept est abstrait et sans intérêt. Ce calcul est d’autant moins pertinent qu’il « oublie » la plus-value immobilière et les coûts exorbitants des catastrophes dues au changement climatique. Cette vision de la rentabilité est un frein important et doit être abandonnée. On lui substituera la notion de bilan en trésorerie tel qu’un particulier le fera en comparant ses annuités d’emprunt aux économies de chauffage.
Un financement inadapté et changeant
Sur les 3,6 milliards d’euros d’aides de l’État, le taux de TVA à 5,5 % bénéficiant aux travaux d’économies d’énergie en représente 75 %. Le reste se répartit en une multitude d’options ouvrant droit mais rendant complexe leur identification par les candidats rénovateurs. Il faut monter de nombreux dossiers, attendre la réponse parfois un an. La complexité de ces procédures est telle qu’un ménage sur deux abandonne son projet en cours. L’Agence Nationale d’Amélioration de l’Habitat censée jouer un rôle important dans ces mécanismes n’a pas une réputation d’efficacité et de rapidité. Enfin, les règles changent plusieurs fois par an rendant le dispositif totalement incompréhensible.
La peur de l’acceptabilité par la population
Une partie de la classe politique craint devoir rendre obligatoire la rénovation qui est pourtant une disposition prioritaire, au motif que les Français ne l’accepteront jamais. Pourtant, les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat tirés au sort, peu portés vers l’écologie, ont fait de cette obligation la première de leurs propositions, bien conscients qu’elle s’appliquerait à eux-mêmes. Preuve en est que, bien informés sur les enjeux et les risques, les Français acceptent des mesures très contraignantes. Ceci corrobore un sondage d’opinion annuel commandé par l’ADEME depuis 2007 dans lequel, à la question de savoir s’ils sont favorables à l’obligation de rénover, 65 à 80 % des sondés, selon les années, répondent « oui ». Mais il est vrai que rendre obligatoire la rénovation sans offrir aux ménages un financement complet mettra la France entière dans la rue. C’est donc dans la qualité de l’accompagnement de cette obligation que réside son acceptation par les Français.
Une profession peu impliquée
Semblant n’être que peu concernées par les grands enjeux actuels, la profession a manifesté un désintérêt certain pour la rénovation, prétextant des carnets de commandes surchargés (ce qui témoigne d’un nombre d’artisans insuffisant), ainsi que l’obligation de formations spécifiques jugées souvent peu utiles et toujours trop chères. Il s’ensuit en général des prestations techniquement peu convaincantes et des prix la plupart du temps très élevés, construits sur un opportunisme de mauvais aloi. Les artisans doivent apprendre le travail en groupement afin de coordonner leurs actions et d’optimiser le coût de leur offre globale. Ils doivent aussi maîtriser la migration de vapeur, la pose de ventilation mécanique double flux, et s’imprégner des exigences imposées par les très basses consommations d’énergie.
À leur décharge il faut reconnaître que l’État ne leur offre aucune perspective de long terme et modifie les règles du jeu en permanence. Il n’y a aucun marché de la rénovation, et un projet construit sur 30 ans définissant la route à suivre offrirait une visibilité nouvelle et ferait évoluer les blocages actuels qui, à défaut, sont de nature à remettre en cause toutes les stratégies de rénovation faute d’exécutants qualifiés en nombre suffisant.
Les Architectes des Bâtiments de France et les règles locales d’urbanisme
Un projet de rénovation soumis à un Architecte des Bâtiments de France (ABF) pourra rencontrer encore d’autres difficultés. Le rôle des ABF est en effet fortement contesté par tous les acteurs de terrain (maîtres d’ouvrage, architectes, élus, etc.), tant il est assez rare d’avoir une discussion constructive avec un ABF. Mais le nombre de projets de rénovation thermique majeurs, notamment en secteur HLM, bloqués par un ABF puis abandonnés par le maître d’ouvrage devant la complexité et le surcoût des dispositions exigées inquiète sur la possibilité effective de massifier la rénovation en France.
Les artisans doivent apprendre le travail en groupement afin de coordonner leurs actions et d’optimiser le coût de leur offre globale.
Il serait souhaitable de substituer à l’« avis conforme » dont ils disposent aujourd’hui un « avis simple ». Le premier s’impose à l’autorité accordant le permis de rénover alors que le second la laisse libre. Les ABF ne doivent plus pouvoir bloquer un projet. Ils doivent être une force de proposition constructive pour préserver le patrimoine sans empêcher la rénovation thermique.
Enfin, de nombreuses règles d’urbanisme doivent évoluer pour permettre notamment la mise en place d’isolation extérieure (mur mitoyen, rez-de-chaussée sur rue, etc.).
Que peuvent faire les territoires pour faciliter la rénovation ?
Les territoires ont un rôle majeur à jouer car tous les villages seront concernés par des travaux de rénovation. Il faudra organiser l’animation des réseaux d’information, de formation, de sensibilisation des professionnels, de contrôle des travaux (très important), de distribution finale des financements, etc. Mais les territoires ne pourront agir seuls si l’État ne met pas en place les outils nécessaires qu’ils soient réglementaires (obligation de rénover) ou financiers.
En guise de conclusion
Les nombreuses controverses qui paralysent aujourd’hui le grand chantier de la rénovation trouveraient probablement leur résolution si le monde politique et ses services avaient une véritable connaissance des réalités du terrain et de ce que les Français sont prêts à accepter et à mettre en œuvre pour autant qu’on les aide efficacement en cela.
Olivier Sidler
(1) « L’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable » – Cour des Comptes – Septembre 2016
(2) « Aides à la rénovation énergétique des logements privés » – IGF/CGEDD – Avril 2017
(3) « Barrières à l’investissement dans l’efficacité énergétique : quels outils pour quelles économies ? » – Document de travail de la DG Trésor – Mars 2017 – https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/efb651d9-8d37-4baa-8c2b-ad5805b1889a/files/ce2838f1-6a60-433b-a30d-09321a9ffa50
(4) Réforme du DPE