Quel avenir pour les vignobles français face aux changements globaux ?
Par Nathalie Ollat et Agnès Destrac, UMR Écophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne, Université de Bordeaux


La recherche, notamment l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, et la profession se sont fortement engagées pour adapter ce secteur stratégique aux mutations rapides, mais aussi globales qui pèsent sur lui. Un exemple de travail collectif et de long terme que suivront toutes les filières professionnelles de l’économie, agricoles comme industrielles.


La culture de la vigne et la production de vin sont, en France, le fruit d’une longue histoire qui a façonné des régions entières, que ce soit au niveau géographique, économique et social.
Le type de vins produits est le résultat d’interactions fortes entre les conditions pédo-climatiques, les cépages et porte-greffes utilisés, et les pratiques culturales et œnologiques mises en œuvre. Dotée d’une forte image de tradition, ce secteur a su cependant évoluer pour relever les défis qui l’ont menacé au XIXème siècle avec l’introduction de nombreuses maladies et ravageurs, tels que l’oïdium, le mildiou et le Phylloxera, en provenance du continent nord-américain. Comme toutes les autres productions agricoles au cours du XXème siècle, la viti-viniculture a intégré, souvent pour le meilleur et parfois pour le pire, de nouvelles pratiques et technologies comme l’utilisation d’intrants chimiques et de plants sélectionnés d’un point de vue sanitaire ou la mécanisation.
En parallèle, consciente des enjeux économiques, elle a mis en place pour une partie de ses surfaces un système performant d’encadrement des conditions de production, afin de garantir un certain niveau de qualité et favoriser la valorisation commerciale des vins produits. Gérées collectivement par les acteurs professionnels et encadrées par l’État, les Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) ne sont pas en soi un frein à l’intégration d’innovations, mais garantissent leur compatibilité avec les principes de base et leur accessibilité à tous les producteurs concernés.

Les mutations globales et la viti-viniculture

Aujourd’hui, plus que tout autre secteur agricole, la viti-viniculture est en pleine mutation afin de faire face aux enjeux des changements globaux. S’adapter au changement climatique tout en réduisant son impact environnemental fait partie des challenges les plus importants auxquels le secteur doit faire face pour assurer sa durabilité. En effet, depuis une trentaine d’années, l’augmentation progressive des températures a conduit à une avancée des dates de vendange dans toutes les régions viticoles, avec des raisins plus riches en sucres et moins acides, et une composition en polyphénols et en arômes modifiée. Actuellement l’impact sur l’équilibre et la conservation des vins est plus ou moins marqué. À l’avenir, ces modifications deviendront sans nul doute très problématiques si les évolutions climatiques se poursuivent. Avancées des vendanges jusqu’à 20 à 30 jours d’ici la fin du XXIème siècle, accroissements des risques de gel de printemps et de sécheresse menaçant les rendements, augmentations de température allant jusqu’à plus de 7°C pendant la période de maturation des raisins dont le potentiel qualitatif est alors affecté, les simulations des impacts à venir sont particulièrement préoccupantes pour les régions viticoles traditionnelles, sans compter les effets sur les maladies de la vigne, difficiles à envisager.

La démarche collective d’adaptation

Si certains ajustements vis-à-vis des variations interannuelles du climat sont envisageables sur le court terme, comme la mise en œuvre de certaines pratiques œnologiques correctives, la vigne est une culture pérenne pour laquelle des stratégies d’adaptation doivent être réfléchies sur le long terme. Par ailleurs, étant donné la diversité des situations viticoles et des types de vin produits, il est fort peu probable que l’adaptation passera par une solution unique. À différentes échelles et selon les situations, un ensemble de leviers d’actions d’ordre technique, géographique, organisationnel doit être mobilisé.

À différentes échelles et selon les situations, un ensemble de leviers d’actions d’ordre technique, géographique, organisationnel doivent être mobilisés.

Depuis le début des années 2000, les acteurs de la recherche (INRA (1), CNRS, Universités et Grandes écoles) et du secteur viti-vinicole se mobilisent pour mieux identifier les impacts observés et attendus du changement climatique pour la production de vins, pour estimer l’empreinte carbone de la filière et envisager des stratégies pour faire face à cet enjeu. À partir de 2012, sous l’impulsion de l’INRA, les efforts de recherche ont été fédérés au sein du projet « Laccave (2) » afin de fournir des données plus précises à l’échelle locale et d’étudier de manière concertée et systémique des leviers d’adaptation. Associant de nombreuses disciplines, de la climatologie aux sciences sociales en passant par l’agronomie et l’œnologie, ce projet a permis de mettre à disposition des professionnels des outils pour les aider à anticiper en définissant des stratégies d’adaptation, notamment via un exercice de prospective associant Montpellier SupAgro, et les organismes publics d’encadrement de la filière FranceAgriMer et l’Institut National des Appellations d’Origine (INAO).
Les différents scénarios prospectifs envisagés combinent l’intégration d’innovations techniques avec les possibilités d’apparition de nouvelles régions viticoles en fonction des évolutions climatiques, ainsi que les changements de cadres organisationnel et réglementaire pour la filière (3). Présentés à plus de 500 professionnels dans 7 régions viticoles, ces scénarios ont permis de recueillir la vision des premiers concernés quant à leur avenir dans le contexte des changements globaux.
Parmi les innovations techniques à considérer, l’utilisation de cépages plus adaptés aux nouvelles conditions climatiques est prometteuse et intéresse particulièrement certaines régions viticoles comme le Bordelais. Plus tardifs, moins sensibles aux températures élevées, très tolérants à la sécheresse, produisant des raisins moins sucrés et plus acides, il existe une grande diversité de cépages qui peut être valorisée. Mais dans une région viticole donnée, les cépages sont l’un des piliers de la qualité et de la notoriété des vins, et donc du cahier des charges qui réglemente les conditions de production dans une Appellation d’Origine. Il est donc important de bien les connaitre avant de choisir d’en cultiver des nouveaux, et bien que ce soit une solution fondée sur la nature, elle n’en est pas moins transformante.
Ainsi depuis plus de 10 ans, en partenariat avec Le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux et la Région Nouvelle Aquitaine, notre équipe de recherche étudie 52 cépages venant de différents pays d’Europe du Sud et centrale. Le projet Vitadapt (pour Vitis Adaptation) repose sur un vignoble expérimental implanté sur le site INRAE à Bordeaux et analyse avec minutie chaque année les caractéristiques des vignes et des raisins en fonction des conditions climatiques de l’année. Succession des stades de développement, évolution de la composition des raisins au cours de la maturation, sensibilité à la sécheresse et aux maladies, tout est scrupuleusement enregistré dans des bases de données. Ces dernières années, les raisins des cépages les plus prometteurs sont vinifiés en collaboration avec l’Unité Expérimentale Vigne Bordeaux INRAE et le Laboratoire d’Œnologie de l’ISVV et les vins élaborés sont analysés, puis dégustés par un panel d’experts.

Le test des solutions

Conscient du besoin de mettre en place des conditions pour accompagner cette nécessité d’adaptation, l’INAO a validé dès 2018 le principe de l’introduction au cahier des charges d’une liste de cépages « d’intérêts à fin d’adaptation », initialement non autorisés, dans la limite de 20 variétés par appellation et 10 variétés par couleur de vin. Cette mesure autorise les viticulteurs à planter ces nouvelles variétés dans la limite de 5 % de la superficie de l’exploitation et avec obligation d’assemblage dans la limite de 10 % de l’assemblage final pour la couleur considérée, sans référence de ces variétés dans l’étiquetage des vins. Saisissant l’occasion, le Syndicat Viticole des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur s’est appuyé sur les données obtenues par les chercheurs sur VitAdapt pour proposer en juin 2019 une liste de sept cépages « à fin d’adaptation » (quatre rouges et trois blancs) en tenant compte des spécificités du terroir et du respect de l’identité des AOC qu’il représente. Les plantations chez les viticulteurs vont maintenant débuter. Elles devraient permettre de mieux connaitre ces cépages et d’évaluer in situ par les producteurs eux-mêmes leur véritable intérêt dans le contexte des évolutions climatiques, notamment vis-à-vis des attentes des consommateurs.

Travaillant main dans la main, les différents acteurs produisent des connaissances, élaborent des solutions et font évoluer les réglementations pour rendre les évolutions possibles.

L’exemple d’innovation rapporté ici illustre parfaitement comment l’adaptation peut se raisonner concrètement et efficacement à l’échelle d’une filière. Travaillant main dans la main, les différents acteurs produisent des connaissances, élaborent des solutions et font évoluer les réglementations pour rendre les évolutions possibles. Selon les mêmes principes, le développement de variétés de vigne résistantes aux maladies et créées par INRAE, et leur expérimentation in situ au sein du réseau expérimental OSCAR contribue à relever un autre défi qui est celui de la réduction des intrants phytosanitaires. Ainsi si les changements globaux font planer de nombreuses inquiétudes sur le secteur viti-vinicole, ce dernier est en mesure de réagir pour assurer sa durabilité, comme il l’a déjà fait dans le passé. Par ailleurs, les démarches de co-élaboration de solutions d’adaptation qu’il a mises en œuvre peuvent servir d’exemples aux autres filières.

Nathalie Ollat et Agnès Destrac
UMR Écophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne, Université de Bordeaux-Bordeaux Sciences Agro-INRAE, Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, Bordeaux


(1) INRAE depuis le 1er janvier 2020
(2) https://www6.inrae.fr/laccave
(3) https://www6.inrae.fr/laccave/content/download/3256/32764/version/1/file/N40_A4-Prospective%20Vin%20et%20Vigne.pdf

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