Au cœur des territoires, les villes moyennes
Entretien avec Caroline Cayeux, Présidente de Villes de France, Maire de Beauvais et Présidente ANCT

 

L’action territoriale (des métropoles comme des villes moyennes), boostée par la crise, a pris un réel essor. Le poids des territoires semble être de plus en plus reconnu par l’État et leur action soutenue par de nombreux dispositifs (Cœur de ville, Cœur de Territoires, Territoires d’Industrie, Contrat de Relance et Transition Écologique). Les grands axes de cette action sont présentés par la Présidente de l’association des villes moyennes.

Vous présidez l’association des villes moyennes en France. Pouvez-vous préciser ce que représentent les villes moyennes en France ?
Les villes moyennes et leurs intercommunalités sont le foyer de vie de plus de 32 millions d’habitants. On peut donc légitimement les considérer comme la colonne vertébrale du territoire national. De par leur positionnement, elles sont effectivement le lien entre les métropoles et les espaces ruraux. Évidemment, si chacune a sa propre histoire et ses propres particularités, elles ont en commun d’être des villes-préfectures ou sous-préfectures donc elles disposent de nombreux services publics qui irriguent les zones rurales. Les villes moyennes ont également un bassin d’emploi qui s’appuient à l’origine sur un fort tissu industriel. Enfin, elles bénéficient d’un cadre de vie et d’une proximité avec la nature que l’on ne retrouve pas dans les pôles urbains. C’est donc pour cela que l’on parle aussi de villes d’équilibre.


Villes de France

Présidée par Caroline Cayeux, Villes de France, association d’élus pluraliste, représente et accompagne les villes de 10 000 à 100 000 habitants et leurs intercommunalités. Elle regroupe ainsi près de la moitié de la population française. Villes de France représente et défend les bassins de vie entre les métropoles et les territoires ruraux, qui assurent la solidité du maillage territorial dans les Régions et qui contribuent à l’équilibre national.


Le baromètre des territoires 2020, en pleine pandémie, dresse un tableau très intéressant de l’attractivité des villes moyennes. Est-ce un signe de retour vers les villes moyennes ? Comment cherchez-vous à pallier à leurs faiblesses ?
À la sortie du premier confinement en avril 2020, Villes de France a réalisé son 2nd baromètre des territoires, en partenariat avec la Banque des territoires et l’Agence nationale de la Cohésion des territoires. Deux principaux enseignements en sont ressortis : avec l’essor du télétravail, près d’un quart des actifs habitants des grandes villes, et même 36 % chez les moins de 35 ans, envisageaient de déménager et les villes moyennes bénéficient d’une réelle attractivité.

En effet, elles sont perçues comme la « ville idéale », celle qui répond aux aspirations des français à savoir privilégier un mode de vie alliant tranquillité et sécurité au sein d’un cadre de vie agréable. À titre d’exemple, elles sont considérées comme les plus aptes à s’adapter aux défis du changement climatique, devant les grandes villes et les territoires ruraux.

Avec l’essor du télétravail, près d’un quart des actifs habitants des grandes villes, envisageaient de déménager et les villes moyennes bénéficient d’une réelle attractivité.

La crise sanitaire a été un accélérateur des tendances. Le confinement a sans aucun doute bouleversé les aspirations de nombreuses familles, de seniors, de jeunes cadres dynamiques qui souhaitent bénéficier d’une meilleure qualité de vie en quittant les centres urbains pour se rapprocher de la nature. Dans le même temps, ils veulent pouvoir continuer à disposer d’un haut niveau de services et de commerces. C’est justement parce qu’elles sont capables de répondre à cette équation particulière que les villes moyennes ont trouvé un nouvel écho auprès des citoyens.

Bien sûr, nos territoires doivent répondre à des défis. Le premier d’entre eux concerne l’emploi, mais comme partout dans notre pays. Les villes moyennes les plus attractives se situent principalement à proximité des centres métropolitains. En effet, le principal frein de migration des familles concerne le travail. Sans emplois à la clef, il sera difficile d’attirer ces familles dans nos villes. Raison pour laquelle cette thématique de l’emploi mais aussi la question de l’enseignement supérieur, de la formation figurent parmi les priorités des élus locaux. C’est un cercle vertueux, en attirant de nouvelles entreprises, de nouveaux emplois, les villes moyennes attireront de nouveaux habitants. Il faut également prendre en compte le développement du télétravail. C’est pourquoi, il est nécessaire que les villes moyennes se situent dans une perspective de complémentarité avec les métropoles. Nous ne sommes pas en concurrence. Au contraire, nous devons agir en réseau pour maintenir et développer des liens qui facilitent les échanges. Je pense notamment aux mobilités et au numérique. Si nous pouvons faciliter les déplacements du quotidien, alors c’est du gagnant-gagnant. Pour les villes moyennes qui attirent une nouvelle population et pour les métropoles qui se désengorgent.

Le projet Cœur de ville vise à revitaliser les villes moyennes. Pouvez-vous en présenter les grands traits ?
Le programme national Action Cœur de Ville symbolise la montée en puissance des villes moyennes en accompagnement la revitalisation de 222 centres-villes. C’est une nouvelle orientation politique, résultat de notre lobbying en faveur des villes moyennes que nous menons avec Villes de France. Il faut signaler qu’il n’y avait pas eu de plan pour les villes moyennes depuis Olivier Guichard dans les années 1970 alors même que ces dernières sont des pôles de centralité et d’équilibre territoriaux absolument nécessaires. Elles jouent un rôle très fort en matière d’aménagement du territoire et pourtant elles étaient les grandes oubliées des politiques publiques jusqu’alors. Le programme Action Cœur de Ville, que nous avons co-construit avec le Gouvernement, a été lancé en décembre 2017. Il mobilise 5 milliards d’euros sur 5 ans avec la participation financière de trois grands opérateurs d’utilité publique (Banque des territoires, Action Logement et l’Anah). Cela a permis d’enclencher une dynamique en mettant un véritable coup de projecteur politique et médiatique sur nos villes, tout en repensant les projets de territoires. Si bien que le programme ne concerne pas uniquement le commerce mais également l’habitat, les mobilités, le patrimoine, l’accès aux équipements et aux services publics, la mise en valeur de l’espace public.

Le programme ne concerne pas uniquement le commerce mais également l’habitat, les mobilités, le patrimoine, l’accès aux équipements et aux services publics, la mise en valeur de l’espace public.

Au 1er janvier 2021, c’est-à-dire à mi-parcours, sur les 5 milliards d’euros budgétés, plus de 2 milliards ont déjà été engagés. Après une première phase d’étude et d’ingénierie, nous rentrons désormais dans les réalisations concrètes. Partout en France, les élus se sont emparés de cette opportunité. C’est la création du théâtre du Beauvaisis au cœur de Beauvais, c’est la valorisation patrimoniale d’une friche industrielle à Niort, c’est la requalification des abords de la Dordogne et de l’Isle à Libourne.

Autant de projets qui répondent à une triple ambition : revitaliser les centres-villes, améliorer la condition de vie des habitants et conforter le rôle moteur de ces villes dans le développement du territoire.

Vos propositions pour la relance ?
Les périodes de confinement liées à la crise sanitaire ont bouleversé le quotidien de nos citoyens mais également de nos villes. Fermeture des commerces non essentiels, des lieux culturels et sportifs, annulation des événements festifs, baisse de fréquentation des transports en commun, nous avons subi, et nous continuons de subir, un choc économique et social. Il faut donc s’appuyer sur des piliers pour réussir la relance. Action Cœur de Ville doit en faire partie. Villes de France a ainsi proposé d’actualiser le programme selon trois principes : souplesse, redimensionnement et réorientation pour les villes bénéficiaires. Nous avons également demandé la prolongation du programme au-delà de 2022 jusqu’en 2026 afin de pouvoir déployer les projets sur l’ensemble du nouveau mandat municipal. Il y a eu notamment une prise en compte des priorités de France Relance à commencer par la transition écologique. Concrètement, c’est la mise en place du Fonds friches de 300 millions d’euros pour permettre la dépollution des sites industriels et miniers mais surtout pour le recyclage foncier.

Comment les Villes moyennes s’investissent dans le lancement de Campus de formation en lien avec Territoires d’industrie, Comment renforcer les liens entre tissu économique et enseignement supérieur ?
L’enseignement supérieur est un atout majeur pour le développement des villes moyennes : 218 villes moyennes sur 222 villes inscrites au projet « Cœur de ville » ont un Établissement d’enseignement supérieur : au total 400 000 étudiants dans les villes moyennes).

Les villes moyennes accueillent 20 % de la population étudiante. Il faut donc évidemment s’appuyer sur cette réalité pour en faire un moteur d’aménagement du territoire et d’attractivité. L’enjeu pour nos villes moyennes consiste à parvenir à une meilleure adéquation entre l’offre de formation et les besoins locaux en emplois. C’est tout l’objectif du dispositif « Au cœur des territoires » initié par le Conservatoire national des arts et des métiers (Cnam) lancé en 2019 en lien avec les programmes Action Cœur de Ville et Territoires d’industrie. Il s’agit de développer une offre de formation, axée sur l’apprentissage, pour répondre aux problématiques des acteurs économiques locaux, notamment industriels, qui peinent à recruter. Et c’est un succès. Une première vague avait permis de labelliser 64 collectivités puis une seconde vient tout récemment d’en labelliser 9 supplémentaires. Le monde économique et celui de l’enseignement supérieur ne se connaissent pas forcément. Sur ces labellisations, les élus ont permis de réaliser des passerelles. C’est aussi notre rôle.

L’enseignement supérieur est un atout majeur pour le développement des villes moyennes.

Enfin, certaines villes se sont appuyées sur Action Cœur de Ville pour finaliser des projets d’enseignement supérieur. Je pense à la formation liée à la bande-dessinée à Angoulême ou la réhabilitation de l’École nationale supérieure d’art à Bourges. Sur cette thématique majeure de l’enseignement supérieur, il faut aller plus loin tant il s’agit d’un puissant levier pour le dynamisme de nos territoires. C’est pourquoi Villes de France souhaite que cela devienne un axe à part entière du programme.

Vous proposez le développement d’une « Territoire de santé » Pouvez-vous développer cette idée très riche ?
Il s’agit effectivement d’une proposition de Villes de France que nous avons formulé au Gouvernement à l’occasion du Ségur de la Santé. Au-delà des enjeux hospitaliers, très prégnants dans le Ségur, notre objectif a été de proposer une vision plus large autour d’une approche territoriale de la santé. Ainsi, pour lutter contre les inégalités territoriales de santé, nous préconisons de créer des « territoires prioritaires de santé » qui auraient le même degré de priorité que les QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville). Ce dispositif permettrait une meilleure identification des enjeux transversaux de l’accès aux soins (liés aux questions de cadre de vie, d’attractivité́ économique, de mobilité́, etc.) et ouvriraient droit à des financements supplémentaires de l’État pour favoriser l’installation des professionnels de santé.

Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média

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