
Les Contrats de Relance et de Transition Écologique représentent un tournant dans la façon pour l’État d’aborder le développement des territoires, tournant renforcé par le fait de l’étendre à tous les territoires et d’en faire une politique « universelle ». Le programme Territoires d’Industrie part de la même philosophie, selon laquelle ce sont aux territoires à organiser leur programme de développement. Comment certaines agences spécialisées comme l’ADEME abordent-elles ce changement ? Ce sont les questions posées au Directeur exécutif des Territoires de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
Les Contrats de Relance et de Transition Écologique et l’ADEME
Les CRTE visent à « Accompagner, sur la durée du mandat municipal, la concrétisation du projet de territoire de chaque collectivité engagée avec les acteurs territoriaux autour d’une double ambition de transition écologique et de cohésion territoriale avec une approche transversale de l’ensemble des politiques publiques (culture, sport, santé, éducation, économie, habitat, commerce, agriculture…) ».
Les Contrats de Relance et de Transition Écologique mettront l’accent sur les projets de territoires dans leur dimension transversale. Comment l’ADEME envisage-t-elle d’aider les territoires dans la définition de leur projet de territoire, à l’ambition de transition écologique, et dans une approche transversale ?
A l’origine des CRTE, il y a quelques années, les Contrats de Transition Écologique commençaient à mettre l’accent sur les projets de Territoire. La crise a bousculé tout cela, d’une part en introduisant la dimension Relance dans l’idée initiale (et dans le nom du dispositif CRTE) ; mais aussi en étendant ces Contrats à l’ensemble du territoire français (on en compte 837 actuellement). Et surtout en en faisant une politique transversale de l’État vis-à-vis des territoires, une politique « universelle », prioritaire, et non une contractualisation particulière, incitative, comme il en existe sur l’économie circulaire, ou la qualité de l’air. C’est une grande nouveauté !
Ce qui n’est pas sans constituer un challenge pour l’ADEME, car d’une part nous ne sommes pas une structure d’État, mais une agence, qui n’a que 800 salariés dont 400 sur les territoires alors qu’il y a plus de 830 CRTE à ce jour. Mais aussi conceptuellement, car l’accompagnement des territoires dans cette politique est un vrai défi pour l’ADEME. Pour y répondre nous avons mis en place quelques outils :
– Apport général de savoir et d’expertise à différents niveaux d’action (avis de l’ADEME, feuille d’expertise…).
– Accompagnement des élus pour leur nouveau mandat territorial, avec des fiches tels que « Aujourd’hui, mon territoire », qui comprennent des éléments techniques pour construire des programmes (fiches « agir » ou « comprendre »).
– Des fiches « Chiffres clé » : qui constituent des baromètres de la transition écologique à réactualiser tous les deux ans, qui complète les Observatoires régionaux et les travaux des PCAET par exemple.
– Une plateforme d’offre générale a été mise en place en juin 2020 : agir-pour-la-transition.ademe.fr qui cible les trois publics des entreprises, des territoires et des particuliers.
Une politique transversale de l’État vis-à-vis des territoires, une politique « universelle », prioritaire, et non une contractualisation particulière, incitative.
Nous nous appuyons aussi sur les labels tels que Citergie1 et sur l’économie circulaire qui s’appuient sur des référentiels plus transversaux, et nous poussons les territoires à les utiliser, mais cela reste encore assez automatisé.
Avec l’appui des Ministères, nous avons lancé une action plus poussée auprès de 50 territoires, choisis pour leur ambition sur les questions écologiques, même s’ils partent de loin, avec des contrats d’objectifs sur 4 ans.
– Au cours de la première année, on finance un diagnostic détaillé, avec un recours possible à un Bureau d’Études extérieur (enveloppe limitée à 75 000 euros). La Collectivité établit son projet en présentant une intention de progression, selon une métrique homogène au niveau national et même européen basée sur les labels Citergie et Économie circulaire.
– Puis pendant 3ans, nous mesurons la progression au regard de ces indicateurs, en y intégrant des objectifs régionaux, qui conditionne le versement de la part variable jusqu’à 275 000 euros.
Avez-vous cherché à développer une approche méthodologique plus large ?
Car les projets de Territoire comprennent des dimensions économiques, sociales beaucoup plus larges que les questions purement écologiques et ce sont les liens entre ces trois questions, économiques, écologiques et sociales qui sont en jeux comme le rappelle le mouvement des gilets jaunes…
Dans le cas des contrats d’objectifs, la Collectivité Territoriale est libre de construire son projet, son trajet. Une gouvernance interne doit être mise en place avec un directeur de projet : si cette gouvernance est trop étroite, nous aurons un projet avec des œillères. Les moyens proposés permettent aussi de faire appel à des Bureaux d’Études externes, pour accompagnement et sur des référentiels intégrant planification territoriale, urbanisme…
Les questions de méthodologie se posent aussi, parce que le projet de Territoire relie nécessairement projets d’entreprises, besoin de particuliers et projet territorial…
Cette relation entreprise/territoire est dans les objectifs du CRTE. Et l’ADEME porte une action spécifique en direction des Entreprises (75 % des 2 milliards d’euros alloués à la transition écologique sont fléchés sur les entreprises) à travers divers fonds (Fonds de décarbonation, Économie circulaire, Tourisme, PME…).
N’y a-t-il pas aussi un problème lié à l’échelle retenue au niveau des territoires, à savoir que les CRTE peuvent être élaborés au niveau de groupements d’EPCI ?
Effectivement, quand il n’y a pas de structures institutionnelles qui puisse entrainer le tout, il peut y avoir des difficultés de gouvernance. La problématique d’un SCoT ou d’un Inter-SCoT ne résout pas tout, car le champ de compétence des SCoT est limité aux questions d’aménagement, et ils n’intègrent pas les questions économiques, sociales.
À l’échelle d’un EPCI, c’est plus simple, il peut s’appuyer sur un Conseil de développement, qui associe l’ensemble des parties prenantes, et qui anime la démarche.
Comment résolvez-vous les questions de financement, puisque les fonds sont alloués sur divers guichets, sans possibilités de réunir les financements ?
Un Maire ou un Président d’EPCI a en effet un ensemble de questions à résoudre qui dépassent les thématiques spécialisées proposées. C’est le côté positif du CRTE que de prendre en compte les questions du territoire globalement. Il existe une multiplicité d’offres spécifiques. Ce n’est pas à l’élu de se pencher sur ces questions d’ingénierie administrative : il faut une ingénierie interne.
La démarche par Appels à projets nationaux n’est-elle pas par nature peu pertinente pour mettre en œuvre des projets de Territoires eux aussi par nature très divers ? Ne sont-ils pas par ailleurs trop segmentés ?
C’est une question qui est souvent posée par les territoires. Elle est compréhensible au regard des questions soulevées par le projet de Territoire et par la volonté de passer par eux pour mener les politiques de l’État, via les CRTE.
Il faut distinguer les AAP nationaux, dont l’objectif est d’aller chercher les projets les plus performants, du point de vue de la TEE, et qui s’inscrivent dans des enveloppes financières fixes.
Au niveau régional, l’ADEME procède également partiellement par AAP, mais ont surtout pour objet de phaser les engagements financiers et de s’assurer que le calendrier d’engagement. On détecte les projets en N-1 pour pouvoir engager l’aide correctement en année N avec un projet mûr. Par ailleurs ces AAP régionaux sont aussi l’occasion de renforcer le partenariat, notamment avec les régions, en assurant des cofinancements et des cahiers de charges adaptés aux enjeux locaux.
La Collectivité établit son projet en présentant une intention de progression, selon une métrique homogène au niveau national et même européen.
Enfin nous travaillons aussi beaucoup en gré à gré, grâce à la connaissance des acteurs du territoire que nous permet notre maillage en région.
Les principaux besoins pour les collectivités sont effectivement de parvenir à dégager une ingénierie d’animation et de pilotage de projets. Elle est utile pour imprimer un rythme à ce type de démarche complexe et multiforme, pour coordonner la mobilisation interne des services, qui peuvent parfois être concentrés sur leurs objectifs thématiques, pour assurer le lien avec les élus, et les autres parties prenantes du territoire, et intégrer la participation citoyenne. C’est le sens des appuis que l’ADEME propose à certains territoires : financement de chargés de mission, contrats d’objectifs, appui au déploiement des labels. Mais ça ne remplace pas la volonté de faire de la collectivité et sa capacité à dégager des moyens internes pour porter une ambition stratégique de TE.
Enfin, la Plateforme AGIR mise en place facilite l’accès à ces divers thèmes.
Nous devons être à l’affut des innovations produites par les territoires, voir comment ils lient les questions d’énergie, de mobilité, d’urbanisme. De ce point de vue, il faut mentionner le lancement d’un Appel à Communs, sur la résilience des territoires qui ressemble à une pépinière d’idées et qui permettra de recueillir les bonnes pratiques mais aussi de les construire aussi.
Que pensez-vous de l’initiative sur les Territoires d’Industrie ?
Nous avons été très impliqués, dès le début à cette initiative, qui permet la promotion de notre offre vers les entreprises. Le rôle de l’ADEME dans les territoires d’industrie consiste à faire en sorte que la relance et le développement de l’activité industrielle dans ces territoires contribuent à la transition écologique.
Il faut mentionner le lancement d’un Appel à Communs, sur la résilience des territoires.
Pour ce faire, l’ADEME y fait la promotion de son offre vers la cible entreprises, amplifiée par les dispositifs qui ont lui été confiés dans la cadre du plan de relance : notamment le fonds décarbonation de l’industrie, avec un volet « chaleur renouvelable » (via un appel à projet « biomasse chaleur industrie ») et un volet « procédés décarbonés » (appel à projet national lancé le 11 mars) ; la réhabilitation des friches industrielles dans la perspective de nouvelles implantations ; le développement de l’écoconception et le verdissement de la filière plastique traités au niveau régional dans le cadre de nombreuses mesures favorisant l’économie circulaire ; l’accompagnement de la transition écologique des TPE-PME (dispositif « tremplin ») et plus spécifiquement de celles qui innovent en faveur de la transition (« Entreprises engagées pour la transition écologique »).
L’ADEME travaille sur ces territoires en coopération étroite avec les collectivités, les services de l’État, le conseil régional, BPI France et la Banque des Territoires.
Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média
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1 http://citergie.ademe.fr/
Photo par Mark König sur Unsplash