
Les enjeux de la filière des déchets et sa complexité, avec ses questions de collecte, de traitement et de valorisation, d’enfouissement, d’incinération et valorisation énergétique, d’augmentation des volumes et de grande diversité des produits, avec ses dimensions techniques, économiques, écologiques et politiques, sont analysés par le Délégué de son Comité Stratégique.
Pouvez-vous nous présenter la filière déchets en tant qu’institution et son rapport aux problèmes environnementaux ?
L’être humain a toujours produit des déchets, c’est un sujet très ancien. On a commencé à s’en occuper pour des raisons de salubrité, face aux catastrophes sanitaires que l’on voit encore dans certaines parties du monde. L’élimination (enfouissement, incinération) a été la première façon de les traiter. Au début du XXe siècle sont apparus les chiffonniers qui, agréés par les préfets, venaient récupérer de la matière (chiffons, ferrailles, etc.) pour la revendre. C’est le recyclage, une seconde forme de gestion des déchets.
Ces deux formes de traitement, historiquement séparées, mais en fait complémentaires, convergent depuis quelques années et ont décidé en 2017 de se réunir et de travailler en commun dans une même filière. À ce moment-là, les pouvoirs publics ont vu dans cette unification des métiers du déchet l’opportunité de proposer un comité stratégique qui, sous l’égide du Conseil National de l’Industrie, vise à accompagner le développement et la performance industrielle de la filière.
Nous travaillons autour de quatre grands thèmes : la transition écologique, la compétitivité, la souveraineté et enfin la cohésion entre les différents acteurs de la filière.
De nombreuses questions sont à traiter, notamment économiques du fait des coûts du travail et de la compétitivité internationale. Les enjeux sont importants : valorisation énergétique, réindustrialisation, nouveaux investissements pour pouvoir proposer entre autres des offres 100 % françaises à l’étranger.
Pour répondre aux problématiques qui s’annoncent, nous travaillons autour de quatre grands thèmes : la transition écologique, la compétitivité, la souveraineté et enfin la cohésion entre les différents acteurs de la filière, entre donneurs d’ordres, sous-traitants, clients.
Pourriez-vous développer ce thème de la cohésion, pour nous permettre de mieux comprendre la structure de cette filière déchets ?
Notre filière est typique d’une organisation en râteau, sans grandes chaînes de sous-traitance. Elle est constituée de beaucoup de métiers, et comprend de très grands groupes, mais aussi des TPE et des PME. Nous avons des grands groupes, dont l’activité se situe en grande partie hors des frontières françaises. Nous avons aussi de très belles ETI, et un grand nombre de PME ou de TPE qui travaillent sur le transport, sur la production des machines-outils, sur les solutions technologiques de valorisation. Notre filière est sans doute parmi les plus compétentes au monde pour la collecte et la valorisation des déchets, grâce à la richesse et à la densité de cet écosystème industriel.
Vous parlez d’une grande quantité de métiers, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Comme pour beaucoup d’industries, nos métiers sont en train d’évoluer. La filière s’est énormément complexifiée : on est passé d’une tendance à l’élimination à une activité basée en priorité sur la valorisation de la matière et de l’énergie issus des déchets.
Maintenant, nous devons collecter séparément, donc trier au maximum les plastiques, les cartons, les métaux etc., les envoyer vers des centres de tri très industrialisés qui les trient à nouveaux, puis mettre la matière première récupérée de cette façon à disposition des entreprises qui peuvent les utiliser. C’est extrêmement complexe, car ces ressources sont en compétition avec les matières premières extractives qui ne répondent pas du tout au même schéma économique.
Justement, quelles sont les différentes catégories de matières premières que vous êtes amenés à traiter ?
Le tri concerne le papier, le carton, le plastique, l’aluminium et le verre. Pour le métal c’est un peu différent. Il faut distinguer les produits qu’on peut trier, qu’on appelle des produits non-inertes, les produits qui n’auront pas de valorisation possible, si ce n’est énergétique à l’incinérateur, et les déchets dangereux, qu’il faut pouvoir gérer dans des conditions de sécurité particulières. Il y a aussi les biodéchets, qui constituent 30 % de l’ensemble et pour lesquels de nouveaux défis sont à relever.
Quels sont les rapports entre la filière, les collectivités territoriales, la population ? Comment s’articule sa relation aux pouvoirs publics ?
Ce sont des rapports complexes, d’abord parce que c’est l’État qui délivre les autorisations d’exploiter les nouvelles installations. Ensuite, c’est la région qui a le rôle de planification de sa politique déchet, et qui doit garantir la réussite des objectifs nationaux. Enfin, ce sont collectivités locales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui organisent localement la gestion des flux de déchets, de la collecte aux usines de valorisation et de traitement. On a donc trois acteurs qui dépendent les uns des autres pour la réalisation des objectifs.
Pouvez-vous nous résumer ces objectifs ?
Un premier objectif est issu de la loi transition écologique pour une croissance verte, qui prévoit de diviser par deux le volume de déchets traités par l’enfouissement entre 2010 et 2025. Cela représente huit millions de tonnes de déchets qu’il va falloir revaloriser et remettre la matière et l’énergie sur le marché mondial. Un des obstacles à cet objectif, c’est celui de la croissance démographique d’une part et surtout celui de la croissance économique. En effet, la quantité de déchets produits augmente en même temps que le PIB, et donc l’effort à fournir est finalement beaucoup plus important que ce qui avait été anticipé et qui est encore prévu dans les différentes réglementations.
Premier objectif : diviser par deux le volume de déchet traité par l’enfouissement.
Le deuxième objectif concerne les déchets qu’on ne peut pas valoriser, en tout cas sous forme de matière première. On peut par contre en faire de l’énergie fatale, c’est à dire de la chaleur industrielle. L’objectif, c’est de revaloriser deux millions cinq cents milles tonnes de ces déchets en énergie, de la proposer sur le marché. Là encore, le problème est qu’elle sera en compétition avec les matières premières vierge, en l’occurrence le gaz, qui est très peu cher. C’est donc un produit difficile à vendre.
La filière tend finalement vers un objectif principal : accélérer vers une économie du recyclage et de la valorisation qui soit plus circulaire, qui protège les ressources et qui renouvelle les matières premières.
Cela veut dire qu’on n’arrive pas à fixer une valeur à la prestation environnementale réalisée ?
Il y a quand même des moyens qui peuvent prendre en charge les externalités, par exemple les certificats d’économie d’énergie, qui ont l’avantage d’être des financements privés et de pouvoir rentrer dans le cumul des aides d’État. Il y a aussi l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), qui accompagne la filière et octroie des subventions importantes. Tout ça peut servir de compensation, mais la compétitivité reste difficile à équilibrer.
La valorisation énergétique des déchets non recyclables pose aussi des questions de compréhension des multiples atouts environnementaux. Il reste souvent du plastique dans ces catégories de déchets, trop souillés pour être recyclés, mais qui peuvent fournir de l’énergie ; ce sont en quelque sorte des déchets de pétrole qui, après une première vie sous forme de matière, produiront finalement de la chaleur et feront ainsi économiser du gaz ou du charbon. En outre, ils limitent le recours à l’enfouissement, qui reste une des seules alternatives possibles pour leur élimination.
Deuxième objectif : revaloriser deux millions cinq cents milles tonnes de ces déchets en énergie.
Un autre objectif serait de réussir à décorréler la production de déchets de la croissance économique, par le biais de la réduction de l’emballage, de l’écoconception, de la capacité à réparer davantage. Sur ce point-là, la trajectoire d’accélération tend à s’améliorer puisque nous sommes passé de 1 point à 0,7, – 0,8 point de déchet par point de PIB gagné.
Cet objectif n’est pas vraiment à la main de notre filière, mais concerne plus le collectif, les industriels et les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), qui vise à la réduction des déchets. Des outils existent, comme une Tarification Incitative basée sur le volume réel de déchet produit, mais qui restent trop peu déployés et parfois délicats à mettre en œuvre.
Un autre élément important de la politique de gestion du déchet, c’est son aspect risque.
Oui, c’est un sujet important. Certaines entreprises commencent à avoir des difficultés à trouver des assureurs. On est en pleine réflexion sur la modernisation des installations, de manière à prévenir un maximum les risques incendie. Mais cela a aussi un coût. Le plan de relance pourra sans doute nous aider à améliorer la modernisation des installations, dans la prise en charge de cet aspect risque.
Quelles sont les autres difficultés que vous rencontrez, en dehors de celles déjà évoquées ?
Un bon exemple des défis à relever, c’est le China Ban. En 2017 la Chine a décidé de stopper l’importation d’une partie des matières issues de déchets et d’imposer des normes de qualité pratiquement impossibles à tenir à des conditions économiques acceptables. Cet évènement pose la question de la réindustrialisation du territoire européen, dans le but de pouvoir maintenir le plus possible ces matières premières dans des cycles français ou européens.
Il y a aussi la question des comportements, des consommateurs, des entreprises. Quel est le rôle des pouvoirs publics sur ce sujet ?
C’est aussi un sujet compliqué, car la filière étant en pleine mutation, la situation n’est pas figée. Les messages qu’on passe aujourd’hui au consommateur ou à l’acteur économique (en termes de prévention, d’adaptation des outils, des gestes de tri), sera potentiellement légèrement différent demain. C’est compliqué parce que notre modèle, qui passe de l’élimination à la valorisation, n’est pas stabilisé. Les cours des matières premières fluctuent énormément, ce qui impacte chaque jour, dans un sens ou dans l’autre, la compétitivité de la filière. Autre exemple, les modalités de tri se renforcent et parfois avec quelques disparités, comme l’extension des consignes de tri à tous les emballages, qui est en cours et prend quelques années à se déployer de manière homogène sur l’ensemble du territoire.
Un autre objectif consiste à décorréler la production de déchet de la croissance économique.
Les problématiques environnementales et écologiques sont les plus importantes actuellement. La réglementation européenne se dirige de plus en plus vers la limitation du plastique, l’utilisation de plastique plus recyclé, plus d’écoconception etc. La directive SUP (single use plastic) interdit, par exemple, depuis le 1er janvier 2021 tous les petits produits plastiques à usage unique, comme les cotons tiges ou les touillettes. C’est aussi parce que les consommateurs demandent de plus en plus de comptes aux producteurs sur leurs impacts environnementaux. Il faut beaucoup d’efforts pour répondre à cette demande.
Pouvez-vous nous parler de ce qui est mis en place autour de cette demande ?
La mise en place de la loi AGEC (anti-gaspillage pour l’économie circulaire) est un bon exemple. Il y a eu à cet occasion tout un débat au sujet de la consigne, que les producteurs de bouteilles en plastique proposaient de développer sur le territoire.
Du côté du tri, on peut voir aussi beaucoup d’initiatives nouvelles sur la robotique, les systèmes d’organisation et de massification des flux, l’écoconception, etc. Il y a tout un travail commun avec les producteurs et les distributeurs.
Le plan de relance s’articule autour des axes sur lesquels nous travaillons déjà : écologie, compétitivité, souveraineté, cohésion et relation entre clients et fournisseurs.
Un des soucis majeurs de la filière, c’est aussi de traiter les déchets de la filière construction.
En termes de volume de déchet, c’est effectivement énorme. Dans la loi AGEC, il est justement prévu un dispositif de responsabilité élargie (REP) du producteur du bâtiment. Il sera tenu, à l’horizon de la mise en place de ce dispositif, de financer auprès d’un ou plusieurs organismes la gestion de la fin de vie de chaque produit mis sur le marché. Il s’agit, quand même, selon les hypothèses qui seront retenues, d’une somme de 3 milliards d’euros par an de contribution.
Pour finir, quels sont les souhaits de la filière déchet à la veille de la relance ?
Le plan de relance, tel qu’il a été décrit, est complètement inspiré du travail que nous avions réalisé dans le cadre du Comité Stratégique de la Filière. Il est donc très en phase avec nos besoins. Cela passe d’abord par un soutien aux territoires pour les usines de combustibles solides de récupération et de valorisation énergétique. Ensuite, des investissements massifs dans le tri et la collecte, et une organisation autour du traitement des biodéchets, dont la masse est considérable, doit être mise en œuvre. Un soutien important est aussi prévu pour les filières plastiques, sur les questions du tri et de la régénération de la matière. Tous ces besoins s’articulent autour des axes sur lesquels nous travaillons déjà : écologie, compétitivité, souveraineté, cohésion et relation entre clients et fournisseurs.
Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média