La crise, un accélérateur des relations Territoires-État
Entretien avec Olivier Landel, Délégué Général de France urbaine

 

La crise est en train d’accélérer la façon dont l’État aborde la question des Territoires et de bouleverser leurs relations. Elle pousse aussi l’État à accorder plus de capacités pour les territoires à s’organiser entre eux, et les territoires à plus coopérer. C’est ce constat que discute le Délégué Général de France urbaine.

France Urbaine et les projets de Territoire

Les questions des mutations globales qui bouleversent nos sociétés sont pour une large part liées à la mise en surplomb de l’économie sur le social et la nature.
Comment organiser une meilleure insertion de l’économie dans la société et la nature ?
Le monde urbain doit prendre sa part dans la transition écologique ! Nous sommes en partie à l’origine des problèmes, nous devons donc avoir une part dans la solution, dans l’atténuation des émissions de CO2 qui viennent pour beaucoup des bâtiments et du transport, et dans l’adaptation aux effets du changement climatique. Nous ne sommes pas dans un isolat, et nous avons une responsabilité dans le changement des comportements.
Mais on sait bien que tout cela a des conséquences sociales, la problématique des gilets jaunes nous l’a rappelé : on ne peut séparer l’écologie du social. Notre responsabilité est donc de bâtir un plan de relance écologique et social. Nous avons d’ailleurs dans notre portefeuille de compétences, les déchets, l’insertion et l’emploi, l’économie circulaire et l’ESS : d’où la mise en place d’un groupe de travail (animé par Émeline Baume de la Métropole de Lyon et par Frédéric Minard de la Ville de Roubaix) « Économie circulaire & ESS » qui abordera entre autres le nouveau cadre contractuel des contrats de relance et de transition écologique.


France Urbaine

France urbaine est une association de collectivités qui incarne la diversité urbaine et promeut l’alliance des territoires. C’est 106 membres, 2 000 communes représentées, 30 millions d’habitants, 22 métropoles, 13 Communautés urbaines, 16 Communautés d’Agglomérations, 50 grandes villes, 5 Établissements Publics Territoriaux


 

Précisément que pensez-vous de ce nouveau cadre des CRTE ou Contrats de Relance et de Transition Écologique, qui met l’accent sur le projet du territoire ?
La crise est un accélérateur de tendance ! Nous défendions cette idée de Contrat depuis des années, « du Contrat partagé, au contrat qui engage », il n’y a là conceptuellement rien de neuf ! Il faut comprendre que tout s’interpénètre (les questions de logement avec ceux des transports, du travail et de la formation…) et qu’il faut introduire de l’horizontalité pour y répondre et non toujours raisonner en tuyaux d’orgue, qui est la façon dont l’État est organisé.
L’idée qui est derrière le CRTE c’est d’abord de soutenir le projet de territoire, et qu’il peut lui-même (et mieux que quiconque) l’exprimer, puis en discuter avec l’État, pour aboutir à une contractualisation globale, ou la plus globale possible. Les responsables élus sont légitimes pour exprimer le projet des personnes qu’ils représentent.

La problématique des gilets jaunes nous l’a rappelé : on ne peut séparer l’écologie du social. Notre responsabilité est donc de bâtir un plan de relance écologique et social.

Cette idée a maturé depuis des années et cela sort au moment de la crise, parce que l’on a besoin de faire repartir l’économie et que tout le monde est absolument convaincu que cette relance, ce n’est pas pour recommencer comme avant ! On a besoin d’accélérer dans la transformation sociale et environnementale ! Mais pas de repartir avec des Appels à projets pensé d’en haut, dans des logiques de silos ! Cette idée de territorialisation de la relance a progressé peu à peu : en quelque sorte, l’idée est de brancher le tuyau des crédits sur les contrats de territoires, où chacun peut ajuster le débit en fonction des vrais besoins, arroser là où il faut, et non laisser le flux arroser dans le vide. Avec les contrats de territoires, plus besoin d’Appel à projets !

Mais il faut élaborer ces projets de territoire ! Ne va- t-il pas y avoir un manque de capacité à penser globalement ?
Sans doute un peu, mais au niveau des territoires, nous avons plus l’habitude de raisonner globalement, au contact des besoins réels des gens, de façon moins cloisonnée que ne le fait l’État ! Le développement durable, c’était déjà un peu cela, avec la volonté de lier économie, social et environnemental, et de développer une gouvernance plus transversale.

L’Alliance des Territoires

Comment pensez-vous la question des rapports entre villes moyennes et Métropoles ?
On part de loin sur cette question puisque, en 2000, on parlait déjà de « Territoires partenaires ». Or, pour bien penser ces rapports, il faut partir de l’idée qu’il n’y a pas de territoire pertinent, plus pertinent que les autres : on a tous besoin des autres et de tous les autres ! Il n’y a pas de territoires qui vont bien, si le territoire voisin va mal ! Et si une Métropole va mal, les territoires à côté vont mal ! L’un ne va pas se construire sans l’autre. Le problème n’est pas un problème de frontière, mais un problème de flux, d’échange ; l’intérieur influe sur l’extérieur, et inversement.
Mais là où il y a difficulté, c’est au niveau des outils juridiques pour mettre en œuvre cette coopération : on a pensé aux SCoT (Schéma de cohérence territoriale) aux inter-SCoT, aux Pôles métropolitains (il y en a 27 maintenant) qui permettent de regrouper des agglomérations pour des projets communs. Avant la loi de 2010, on n’avait pas le droit de le faire !

L’idée qui est derrière le CRTE c’est d’abord de soutenir le projet de territoire, et qu’il peut lui-même (et mieux que quiconque) l’exprimer, puis en discuter avec l’État, pour aboutir à une contractualisation globale.

La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (loi MAPTAM) de 2014 a accéléré cette dynamique : les grandes Communautés ont pu se constituer en Métropoles. On a créé des outils pour mieux travailler avec l’extérieur. On comptait en 2019 174 formes de coopération inter territoriale (et ce uniquement autour des 15 premières Métropoles). Mais on en parle très peu dès lors que le tampon de l’État n’y figure pas.
Quelques exemples dans l’alimentation (Toulouse avec le Département voisin du Gers notamment), la relocalisation de la filière du bois (Nancy a aidé les territoires voisins pour s’équiper et retrouver ainsi des capacités de transformation du bois que l’on avait laissé partir en Chine)… Cette philosophie devrait irriguer l’ensemble des champs de politique publique : transition écologique, santé, alimentation, développement économique et circuits-courts…

Une nouvelle relation avec les quartiers populaires et de banlieue

Un Rapport de France urbaine sur la question de la mobilité pose bien la question des rapports ville et banlieue : L’action publique ne se résume plus au désenclavement, mais doit intégrer l’accompagnement de la mobilité dans de très nombreuses dimensions. Pouvez-vous développer ?
Pour désenclaver un quartier périphérique, il ne suffit pas de mettre une ligne de bus, la logique du service est indispensable, avec un accompagnement des hommes et des pratiques par des politiques globales (tarifaires, d’aménagement, d’encouragement, de sensibilisation et accompagnement humain).

Tout le monde est absolument convaincu que cette relance, ce n’est pas pour recommencer comme avant ! On a besoin d’accélérer dans la transformation sociale et environnementale ! 

De façon générale, la politique de la ville n’est pas et ne doit pas être une politique de quartiers sensibles : elle doit porter sur des territoires plus larges, et être autre chose que de la compensation ou de l’assistance. Il faut inverser cette relation et c’est ce qui a été promu dans le « Pacte de Dijon ». Cela vaut pour tout : une politique de renouvellement urbain, de reconstruction ou réhabilitation doit commencer par écouter ce que veulent les habitants (rester insérés dans leur quartier, garder les liens avec l’école du quartier, accompagnement au relogement…). En matière de numérique, l’installation de fibre optique ne suffit pas, il faut travailler sur les usages, sur le service.

Ne va-t-on pas vers la création de nouveaux métiers, dans le service… ?
Les territoires en sont conscients, et ont compris que cet accompagnement doit être subtil : la société civile s’investit beaucoup sur des questions d’enjeux environnementaux, sociaux des transitions. Il y a là profusion de propositions qui parfois bouscule les forces publiques locales (pensons aux trottinettes qui étaient des solutions de mobilité douce, qui au départ pouvaient perturber les autres modes de transport). Les Collectivités doivent alors se positionner discrètement et habilement sans interdire, mais en aidant à réguler ce qui peut être une opportunité même si elle désorganise un peu. Dans le cas des trottinettes, les choses se sont peu à peu organisées (modes de stationnement adaptés, règles de conduite…).

La politique de la ville n’est pas et ne doit pas être une politique de quartiers sensibles : elle doit porter sur des territoires plus larges, et être autre chose que de la compensation ou de l’assistance.

Comment utiliser les comparaisons (internationales ou même nationales) entre villes ?
Comparaison n’est pas raison : ce qui marche à Lille, ne marche peut-être pas à Marseille ! Chaque ville a son histoire, sa culture, sa géographie ! Il n’y a pas de modèle urbain ! On a tort d’en proposer : mieux vaut laisser les acteurs se réguler eux-mêmes, en fonction de ce qu’ils sont !
Par contre, il faut chercher à comparer ce qui est comparable, nous avons tous des objectifs communs (cohésion sociale, référentiel européen des villes durables…), c’est dans la façon de les atteindre que chacun a une stratégie, des marges de manœuvre. Il faut dans les comparaisons, repérer ce qui est comparable et s’en servir pour voir avec qui il est utile de discuter en priorité, parce qu’on a la possibilité de progresser ensemble. Et dans ce cas il faut mettre en commun ces comparables.

Comment voyez-vous le rôle de France urbaine ?
C’est d’abord un lieu de régulation horizontale des pratiques locales, qui marche parce que les gens ont l’habitude de travailler ensemble : ainsi dans les semaines de confinement général en 2020, nous avions tous les samedis des réunions entre Maires et présidents d’EPCI, qui tous recherchaient les uns des autres ce qui pouvait le mieux marcher… Et cela a bien fonctionné !
C’est ensuite un « entonnoir dans les deux sens », un lieu de transmission entre d’une part l’État, les Ministres, les grands groupes, l’assemblée nationale… et d’autre part les Villes, les Métropoles… Nous sommes un interlocuteur reconnu, qui peut faire remonter des idées, réactions, critiques ; dire « Voilà ce que nous proposons ! » en complément systématique de nos critiques. Parfois, les responsables dans l’État travaillent entre eux, et expliquent aux collectivités pour qu’elles fassent ce qui a été pensé ; Or il aurait été plus productif, d’en parler avant avec les collectivités et leurs associations.

Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média

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