
L’Assemblée des Communautés de France a joué un rôle d’impulsion et de proposition en faveur du programme de réindustrialisation des territoires en France, de Territoire d’Industrie. La crise, par un paradoxe apparent, a renforcé ce besoin d’industrialisation, mais aussi de localisation de l’activité, de retour au territoire. Les élus territoriaux ont su percevoir la force du binôme qu’ils constituaient avec les industriels.
L’AdCF a contribué à l’initiative d’un programme qui a pris beaucoup de vigueur récemment, les Territoires d’Industrie. Quelles en ont été les raisons et les modalités ?
Notre association en effet appelé au début de l’année 2018 à un nouveau pacte productif entre territoires et entreprises en présentant un manifeste à destination du gouvernement et des grandes fédérations industrielles et patronales. Une journée nationale des intercommunalités avait été organisée en présence de présidents de régions (Xavier Bertrand, Carole Delga) et de chefs d’entreprises. L’AdCF mettait notamment mis l’accent sur les 500 000 emplois manufacturiers détruits en trente ans dans des bassins de vie ruraux ou de petites villes, emplois qui n’ont pas été réellement remplacés par les emplois de l’économie dite résidentielle. Il était capital d’interrompre cette hémorragie et d’amorcer une action de reconquête en mobilisant les acteurs publics locaux. Lors de la Conférence nationale des territoires de l’été qui a suivi, le président de l’AdCF (à l’époque Jean-Luc Rigaut, président du Grand Annecy) avait été invité par le Premier ministre à présenter les propositions de l’association.
C’est dans le prolongement de cet évènement qu’a été lancée par le gouvernement la mission de préfiguration chargée d’identifier les territoires cibles et proposer une méthode de travail. L’AdCF y était représentée par Virginie Carolo (cf. entretien). Les axes stratégiques prioritaires du programme, l’approche ascendante appuyée sur des acteurs locaux (un binôme animé par un industriel et un élu), le rôle d’impulsion et de coordination proposé aux régions, la priorité accordée à des plans d’action très opérationnels… ont fait de Territoires d’industrie un programme souple, ajustable à des réalités diverses.
Les 148 Territoires d’industrie représentent au total environ 500 intercommunalités de toute taille et plus d’un tiers de la population française.
Les travaux ont démarré très vite dans certains bassins déjà très organisés, avec des périmètres de travail déjà bien établis et organisés, une forte interconnaissance des entreprises et des élus locaux. D’autres Territoires d’industrie ont mis plus de temps à passer aux travaux pratiques. Cela est dû au temps nécessaire à installer une gouvernance adéquate, appuyée sur des acteurs légitimés par leurs pairs. Cela s’est aussi expliqué par un déficit de capacité d’animation ou d’appui extérieur. L’adhésion des régions au programme s’est également opérée de manière progressive. Mais les moins convaincues au départ ont fini par rejoindre le programme, comme la Bretagne. Des postes de chefs de projet ont été financés par l’État là où il y avait un déficit d’ingénierie. De proche en proche, le programme s’est engagé partout.
L’Assemblée des Communautés de France (AdCF)
L’AdCF fédère près de 1 000 intercommunalités : 730 communautés de communes ; 202 communautés d’agglomération ; 17 métropoles ; 10 établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris ; 8 communautés urbaines.
Elle assure la représentation des intercommunalités auprès des pouvoirs publics nationaux (gouvernement, Parlement, agences nationales…), participe aux débats sur les évolutions de notre organisation territoriale et des politiques publiques décentralisées, développe une expertise spécifique au service de ses adhérents. Elle est particulièrement investie depuis plusieurs années sur les questions de développement économique, compétence que les intercommunalités partagent avec les régions.
Deux ans après le lancement, où en est-on ?
Les 148 Territoires d’industrie représentent au total environ 500 intercommunalités de toute taille et plus d’un tiers de la population française. La dynamique collective est aujourd’hui indiscutable au niveau national, de Saint-Nazaire à Béthune, de Mulhouse à Pau-Lacq-Tarbes, du Grand Chalon à Lamballe…
Le programme s’est engagé réellement sur le terrain au cours de l’année 2019, à la sortie de la crise des gilets jaunes ; crise qui n’était pas sans lien avec la dévitalisation industrielle de nombre de territoires. La dynamique qui s’est engagée assez vite aurait pu être brisée nette par la crise sanitaire, qui a surgi au moment même où les plans d’action mis en place par collectivités et industriels commençaient à prendre forme. Mais dans les faits, c’est le contraire qui est constaté dans la plupart des bassins industriels concernés. Beaucoup d’entre eux ont accéléré ou adapté leurs plans d’action. Les projets d’investissement industriel se multiplient de même que les actions collaboratives entre acteurs publics et privés sur les sujets de formation, d’attractivité des métiers de l’industrie, de transition écologique et énergétique, de requalification de friches et d’aménagement de parcs d’activité…
Plus de 1200 fiches action ont été préparées par les Territoires d’industrie et présentées aux co-financeurs. L’AdCF en a fait une première analyse, à partir d’un large échantillon (600 fiches environ). En termes de répartition entre les 4 grands axes du programme 35% portaient sur des projets d’innovation, 22% sur des enjeux de recrutement et de formation, 34% sur des projets visant à l’attractivité industrielle et territoriale, 8% sur des enjeux de simplification administrative. À l’intérieur de ces différents axes, on retrouve en grand nombre des actions visant à numériser l‘industrie (industrie 4.0), à améliorer la structuration des filières locales par des actions collectives, à engager des démarches d’écologie industrielle (économie circulaire) et de décarbonation, à dégager du foncier pour permettre des extensions de sites ou permettre des implantations nouvelles sur des sites dits « clefs en mains » …
Quelle a été la spécificité de ce programme par rapport à d’autres plans de réindustrialisation ?
C’est essentiellement sa dimension territoriale, très collaborative et très ascendante. Le co-pilotage industriels-élus est un gage de confiance et d’une nouvelle manière de travailler ensemble à la réindustrialisation. L’approche « bottom-up » qui a été privilégiée dès les travaux de préfiguration du programme a sans doute été décisive pour assurer sa solidité. Territoires d’industrie n’a pas été conçu comme un énième appel à projet en vue de distribuer un label ou une distinction. C’est une démarche d’accompagnement des bassins d’emploi qui présentent un profil industriel marqué, analysé à travers un pourcentage d’emplois encore élevé dans les secteurs industriels. Le programme est donc proposé à ceux qui le souhaitent et qui veulent investir dans leurs potentiels industriels. Faire partie des territoires pré-identifiés, regroupant plus de 500 intercommunalités, n’obligeait à rien. Il était même envisagé initialement que certains territoires ne seraient pas intéressés par cette offre. Dans les faits, la quasi-totalité ont saisi l’opportunité du programme.
Le plan de relance offre-t-il des opportunités nouvelles pour le programme ?
C’est très net. Territoires d’industrie trouve aujourd’hui avec le plan de relance des moyens d’accompagnement qui pouvaient sembler beaucoup plus ténus lors de son lancement initial. Les moyens alloués au fonds d’accélération des projets industriels ont déjà été augmentés compte tenu de son succès. Il y a des fonds pour les friches, pour l’hydrogène, pour les projets de digitalisation, pour les transitions collectives des salariés…
Le co-pilotage industriels-élus est un gage de confiance et d’une nouvelle manière de travailler ensemble à la réindustrialisation. L’approche « bottom-up » a été décisive pour assurer sa solidité.
Surtout, la crise sanitaire a accentué au niveau national la prise de conscience de nos fragilités industrielles et des enjeux de relocalisation de certains maillons critiques de nos chaines de valeur. Les problèmes d’approvisionnement invitent les acheteurs à repenser leurs pratiques. Il est illusoire de penser que l’on pourra tout relocaliser en France, ce qui n’aurait d’ailleurs pas d’intérêt, mais regagner des parts de marché dans nos productions et consommations nationales est tout à fait possible, surtout si l’on raisonne en part de valeur ajoutée en montant en gamme. La réhabilitation du « Made in France », engagée depuis quelques années, trouve une forme d’accélération à tous les niveaux. Certaines filières sont à nouveau durement impactées par la crise, mais beaucoup d’autres tiennent bon ou cherchent à rebondir.
Mesurez-vous les premiers impacts économiques territoriaux de la crise ?
La résistance au choc semble à cet égard beaucoup plus forte qu’en 2008-2009 même si trois filières souffrent beaucoup : l’automobile, l’aéronautique et les transports. En 2009-2010, l’AdCF avait constitué avec l’Institut CDC pour la recherche et l’économiste Laurent Davezies un observatoire des impacts de la crise qui avait largement mis en exergue la fragilisation de nos bassins manufacturiers, positionnés dans les activités de sous-traitance. Les mutations économiques du tournant des années 2000 sous l’effet de l’ouverture internationale (accords de l’OMC, intégration monétaire) puis la crise financière ont alors représenté de très nombreuses pertes d’emploi industriels, avec des effets de dévitalisation économique de nombreux territoires à forte identité industrielle.
On voit tout l’intérêt d’une approche transversale des sujets, même pour mettre en œuvre des programmes ciblés.
Il est frappant de constater que les impacts de la nouvelle crise sont, pour l’instant, beaucoup plus amortis même si certains secteurs subissent des chocs très importants comme l’automobile et l’aéronautique. Les leviers mis en place en matière de chômage partiel, de prêts garantis par l’État, de reports de cotisation et de dégrèvements fiscaux… jouent un rôle de bouclier très important. Mais ils n’auront qu’un temps. Il faut en profiter pour repositionner certaines activités et savoir-faire, en favorisant l’investissement, l’innovation, les qualifications. Le programme Territoires d’industrie contribue largement à ces nouvelles dynamiques et suscite sur le terrain de la confiance entre acteurs. Les multiples chantiers de la transition écologique constituent des défis industriels majeurs, que ce soit dans la décarbonation de nos mobilités, l’efficacité énergétique, les éco-matériaux dans la construction, la gestion de l’eau, l’économie circulaire, l’alimentation de qualité… Sur ces sujets, notre pays dispose d’avantages comparatifs multiples.
Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) en préparation peuvent-ils permettre d’accélérer ou conforter le programme ?
C’est fort probable. Ces contrats dits « intégrateurs » vont permettre de décloisonner un certain nombre de dispositifs et surtout de s’inscrire dans la durée des mandats locaux. Cette visibilité, comme l’approche contractuelle, est très appréciée par rapport à la pratique incessante des appels à projets nationaux. L’accord de partenariat entre l’État et l’AdCF qui a été signé le 22 mars 2021 par le Premier ministre Jean Castex et Sébastien Martin, le président de notre association, mentionne explicitement le programme Territoires d’industrie comme un levier de notre impératif industriel. Les CRTE qui seront signés avec ces territoires pourront apporter de nouveaux soutiens, et sur des axes plus larges. On voit bien que les difficultés de recrutement des industriels tiennent souvent à des considérations d’attractivité générale du territoire où ils sont implantés. Cela peut être lié à l’offre de logement, de transport, de santé, d’éducation, de culture… On voit tout l’intérêt d’une approche transversale des sujets, même pour mettre en œuvre des programmes ciblés.