La formation et l’emploi
Entretien avec Philippe Dole, Président de l’AFDET, ancien Inspecteur Général des Affaires sociales

 

Les questions de la formation professionnelle, de la relation de l’École avec le monde de l’entreprise, de l’orientation professionnelle sont cruciales dans un monde, et à un moment, où certaines professions sont en tension et ne trouvent pas les compétences qu’elles recherchent, et où nombre de travailleurs ne trouvent pas d’emplois. Comment lier ces questions avec les politiques de développement industriel territorialisé, les politiques de relance ? L’Inspecteur Général des Affaires sociales, Philippe Dole, Président de l’AFDET, apporte des éclairages.

 

Vous êtes actuellement Président de l’AFDET. Pouvez-vous nous présenter cette association plus que centenaire ?
L’AFDET, Association française pour le développement de l’enseignement technologique, a été créée en 1902, elle est reconnue d’utilité publique, avec un agrément de l’Éducation Nationale qui reconnait son action comme complémentaire à la mission publique d’enseignement. Elle soutient l’enseignement technologique ou professionnel (formation initiale, puis formation continue) des élèves des niveaux Bac-3 à Bac+3 ou équivalents ; elle facilite les relations entre les mondes de l’entreprise et de l’enseignement dans différentes voies. L’AFDET, c’est environ 1 100 membres, moitié personnes physiques (en grande partie des cadres de l’Éducation nationale, mais aussi dirigeants et cadres d’entreprises) et moitié personnes morales (Collèges et lycées, CFA, IUT, entreprises).

 

Vous êtes Inspecteur général des affaires sociales et ancien directeur général du FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels). Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
Comme ancien Inspecteur du Travail, impliqué dans les problématiques de prévention des risques professionnels, puis comme Directeur du travail, j’ai eu à connaître en profondeur le monde de l’entreprise et ses constantes transformations. Comme Directeur du Travail dans diverses régions et, après 2005, comme Inspecteur Général des Affaires sociales, j’ai eu à m’occuper de reconversions professionnelles en lien avec les problématiques de développement territorial avec des collectivités territoriales), de politique de l’emploi, de Plans sociaux et de reclassement, de relations avec les partenaires sociaux et de médiation dans divers conflits. Je me suis intéressé aux questions de formation professionnelle, (formation continue, apprentissage), et j’ai contribué à son organisation à travers divers chantiers législatifs et Règlementaires (Contrat de Transition Professionnelle, avec Jean-Louis Borloo, Contrat de Sécurisation Professionnelle, qualité de la formation avec Michel Sapin, Compte Personnel de Formation et conseil en évolution professionnelle…).

Les questions d’emploi se jouent sur la rencontre entre des capacités et des opportunités : comme vous voyez, malgré leur utilité essentielle, je ne parle pas tout de suite de qualifications.

Cette expérience des ressources humaines, de la formation professionnelle, des questions sociales, du monde du travail et de l’entreprise et les réseaux associés peuvent contribuer à soutenir l’AFDET sur ces sujets en grande transformation.

 

Lorsque l’on interroge les chefs d’entreprises, ce qui frappe c’est qu’ils expriment très souvent leurs difficultés de recrutement, à trouver des compétences adaptées, à trouver des personnes motivées pour des métiers manuels. Que faire à ce sujet ?
Le gouvernement cherche à répondre à ces questions de métiers en tension et difficultés de recrutement. Il cherche à élaborer, en relation étroite avec les Branches, avec leurs représentants paritaires, un plan d’action à ce sujet. Ces acteurs disposent des éléments de connaissance permettant d’identifier les besoins émergents, les nouveaux métiers, les besoins de nouvelles qualifications… et ils ont aussi leur mot à dire sur des outils essentiels, en particulier sur l’ouverture de nouvelles formations, certifications, de nouveaux Diplômes et sur les financements nécessaires.

Les questions d’emploi se jouent sur la rencontre entre des capacités et des opportunités : comme vous voyez, malgré leur utilité essentielle, je ne parle pas tout de suite de qualifications. Les capacités comprennent tout ce que les personnes ont déjà fait et qu’elles sont capables de mobiliser dans de nouveaux registres d’activité. Les opportunités, se présentent de façon constante : les entreprises décident de recruter à tout moment, et sur des postes, fonctions, missions, plus ou moins éloignés des activités que l’on a exercées et des expériences acquises.

Ainsi, dans le cas d’une recherche ouverte (soutenue par les opportunités offertes par le territoire), en rapprochant une personne actrice de son parcours et « qui s’engage à mobiliser ses compétences », et un employeur qui a une demande de travail mais pas forcément une offre d’emploi « toute faite », on observe que celui-ci peut dès lors accueillir cette personne, en adaptant éventuellement l’environnement, le poste de travail… à ses capacités. Cet appariement par l’immersion renvoie à l’expérience au cours de laquelle chaque partie fait l’apprentissage de l’autre (mises en relation, contrats courts, mises en situations) ouvrant aux potentialités d’emplois du territoire. Et c’est ce qui se passe pour une part importante des recrutements.

L’AFDET n’est pas centrée sur le monde de l’Éducation, elle doit s’ouvrir sur la société, aux entreprises, aux Collectivités Territoriales, voire aux Régions.

Mais cela n’est pas univoque : dans certains domaines, cela se joue aussi, et d’abord sur des questions de qualification (cas des professions règlementées par exemple). Pour d’autres métiers, les qualifications seront acquises au sein de l’entreprise, ou les compétences professionnelles développées « sur le tas » avec les autres compagnons.

L’objet de la formation professionnelle des jeunes est de les aider et les préparer à rentrer dans la vie active en entreprise, à acquérir les capacités relationnelles, comportementales et professionnelles nécessaires. L’AFDET doit trouver les solutions pour remplir ses missions d’orientation et d’accompagnement des jeunes (et adultes en formation continue), avec les ressources humaines bénévoles dont elle dispose, c’est-à-dire des ressources malgré tout limitées. Il nous faut donc rencontrer les acteurs, valoriser nos atouts dans des partenariats, proposer des projets. Et pour cela, nous devons recenser nos compétences internes, mutualiser nos savoir-faire, les caractériser, les former, les valoriser, pour pouvoir offrir de nouveaux services.

Soulignons que malgré la crise, le nombre de contrats de formation professionnelle a explosé (500 000 contrats d’apprentissage, 150 000 contrats de professionnalisation), ce qui témoigne de la vitalité de la relation école-entreprise.

 

Dans cette optique, que pensez-vous des outils que représentent les Campus des Métiers et des Qualifications ?
Les Campus sont des outils nouveaux au sein de l’appareil éducatif (leur conceptualisation dans l’Éducation nationale date de 2000), mais pas nouveaux dans le paysage social : certaines Branches industrielles (la métallurgie notamment) avaient déjà mis en place de tels outils (en s’appuyant sur leurs CFA) pour la formation initiale et continue. Au sein de l’Éducation Nationale, les Greta existaient aussi auparavant, répondaient à des besoins locaux.

Les CMQ sont une réponse éducative intelligente dans un espace qui ne l’attendait pas. L’Éducation Nationale s’est adaptée aux besoins des entreprises et la réponse est de qualité, appréciée par les entreprises. Il s’agit d’un travail local, de longue haleine, mené par les établissements et des grappes d’établissements, qui tirent derrière eux un ensemble de pratiques et d’acteurs.

Le développement local est à 90 % endogène, issu de facteurs interne au territoire, qui dépendent pour une grande part des Collectivités territoriales.

L’AFDET dont l’ADN est l’orientation professionnelle, apporte son concours à ce processus, joue un rôle de passeur, d’accompagnateur et parfois d’initiateur à ce sujet, mais en laissant les acteurs mener l’action. Les Campus sont des modes de travail nouveaux pour rapprocher l’école et l’entreprise, bien en phase avec le moment d’aujourd’hui, dans la façon dont on doit travailler aujourd’hui. Certains Campus ont adhéré à l’AFDET.

L’AFDET n’est pas centrée sur le monde de l’Éducation, elle doit s’ouvrir sur la société, aux entreprises, aux Collectivités Territoriales, voire aux Régions (nous avons des projets dans ce sens). Les Territoires d’Industrie, les Campus et les dispositifs de Transition Collective ouvrent des champs d’action dans lesquels l’AFDET peut s’engager si elle sait démontrer sa capacité à apporter les services voulus.

 

Les Territoires d’Industrie sont effectivement des nouveautés dans le paysage industriel et territorial français, créé en lien avec les collectivités territoriales. Qu’en pensez-vous ? et comment l’AFDET peut-elle travailler avec eux ?
C’est une démarche intelligente, qui permet de mobiliser les acteurs sur les territoires. Elle crée un environnement favorable à l’implantation at au développement d’entreprises. Cette dynamique a été rendue possible du fait de la présence des Collectivités territoriales dans le dispositif, dans une approche intercommunale.

Le développement local est à 90 % endogène, issu de facteurs interne au territoire, qui dépendent pour une grande part des Collectivités territoriales. Elles ont la maîtrise du foncier (qui représente 20 % des coûts des projets), des équipements et de la voirie, des réseaux techniques dont le numérique, du cadre de vie des habitants. Cette dimension d’attractivité (ou parfois de repoussoir) du territoire est essentielle, sans doute, avec la qualité du tissu économique local, le premier élément du choix d’implantation des entreprises et ménages sur un territoire. Les Régions aident aussi au plan financier et ont eu l’intelligence de laisser les Communautés gérer localement les problèmes locaux.

Les Territoires d’Industrie permettent de répondre à de nombreux problèmes indispensables au développement de l’industrie (renforcement des activités de service, de la formation, de l’attractivité territoriale, …) et jouent ainsi un rôle de catalyseur du développement.

Notons cependant que l’économie française, n’est pas que la résultante de l’industrie et que d’autre secteurs ont besoin de formation et des services en lien avec la formation.

 

Que pensez-vous des outils dits de Transition Collective et comment l’AFDET y apporte-t-elle son concours ?
Les personnes qui après parfois 30 ans dans une entreprise se trouvent licenciées, alors qu’elles n’ont aucune connaissance du marché du travail, sont depuis longtemps sorties de l’École ont besoin d’être rassurés, accompagnés. Elles recherchent une aide et le dispositif de Transition collective a ce but, pour une transition d’emploi à emploi sans passer par le chômage. Cet outil est récent (janvier 2021) et est en phase de lancement.

Nous avons conclu un accord avec CERTIF-PRO (association des partenaires sociaux co-pilote du dispositif avec l’État), nous sommes positionnés auprès des association AT-PRO dans 6 régions, et les délégations de l’AFDET s’engagent pour apporter (modestement, en fonction de leurs capacités) une telle aide, en lien avec les acteurs territoriaux qui co pilotent le Programme. L’idée est de transférer vers des personnes les savoir-faire de l’AFDET assurés par nos bénévoles, formateurs expérimentés, et en prenant le temps nécessaire, pour les aider dans leur reclassement, sans contraintes de rentabilité. Ces atouts facilitent la mise en confiance. Mis en réseau avec les Campus des Métiers et Qualifications, via des plateaux techniques, cela peut concourir au recrutement de ces personnes en transitions par des entreprises qui en ont besoin.

Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média

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