
France Ville Durable, « l’association française des parties prenantes professionnelles publique et privées de la ville durable » est un creuset de pratiques urbaines au service de la sobriété, de la résilience, de l’inclusivité et la créativité. Ces critères caractérisent bien l’adaptation des visions de la ville durable à des mutations globales évidentes. Associés au principe de respect de traditions urbaines européennes (décisions locales, démocratie urbaine, savoir-faire spécifiques), ils constituent l’idée de Ville durable à la française.
L’Association France Ville Durable s’est consolidée dans le temps, notamment en fusionnant en 2019 avec Vivapolis, et est aujourd’hui devenu un acteur national référent sur cette question de la ville durable.
Cette association réunit toutes les parties prenantes professionnelles autour de cette problématique : les collectivités, évidemment, en particulier à l’échelle de l’intercommunalité qui détient ; l’État et ses agences, aussi bien l’ADEME, le CEREMA, l’ANRU ou l’ANCT que les ministères en eux-mêmes ; les entreprises, qui sont porteuses de savoir-faire relatifs à cette question de la ville durable ; et enfin les experts. Étant moi-même co-président de la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme, je peux voir la manière dont ces experts concourent à la manière dont on pense et dont on réalise cette ville durable.
France Ville Durable réunit l’ensemble de ces acteurs professionnels pour :
– Repérer les initiatives opérationnelles pertinentes et de les valoriser, via des outils comme le Portail. Il s’agit également d’essaimer, d’accroître cette culture du développement durable, le plus possible chez les différentes parties prenantes.
– Diffuser, en France ou à l’international, nos expériences, les promouvoir. Plusieurs délégations vont par exemple être organisées dans divers pays, pour pouvoir présenter non seulement les savoir-faire de nos entreprises, mais aussi le savoir-faire français, dans sa globalité, autour de la conception et gouvernance de la ville durable.
Des groupes de travail réunissant les différentes parties-prenantes développent la dimension opérationnelle de la ville durable sur des sujets comme la sobriété numérique, la question de la formation (qui est tout à fait incomplète notamment pour les agents de la collectivité), les normes et les labels, etc. Sera d’ailleurs bientôt mis en place un groupe de travail autour de la zéro-artificialisation nette, en lien avec tous les acteurs dont les experts.
Quatre concepts fondateurs de cette idée de ville durable “à la française” : la sobriété, la résilience, l’inclusivité et la créativité.
On cherche également, par ces groupes, à se mettre d’accord sur ce qu’est, finalement, la ville durable en France. Car nous nous sommes rendus compte que ces mots étaient utilisés de manière un peu générique, sans être clairement définis, sans que l’on maîtrise la spécificité de cette fameuse ville durable à la française. Nous avons donc rédigé un manifeste pour préciser ces questions de manière concise, en identifiant quatre concepts fondateurs de cette idée de ville durable « à la française » : la sobriété, la résilience, l’inclusivité et la créativité. Nous avons d’ailleurs organisé, le 19 mai, une rencontre nationale qui a connu un grand succès, pour présenter ce manifeste, le mettre en débat, le faire évoluer. Nous le pensons comme quelque chose de vivant, pouvant être amélioré.
Nous avons également mis en place des ateliers territoriaux pour que ce concept de ville durable et ses différents référentiels puissent servir aux projets des collectivités locales, que nous cherchons à accompagner le plus en amont possible. Ces ateliers qui peuvent être très spécifiques ou de plus grande envergure, ont pour but de faire comprendre aux acteurs que la ville durable doit être entendue dans sa dimension globale et pas simplement en la réduisant à des prismes spécifiques comme le logement ou la mobilité. Nous avons dans ce sens un large partenariat avec les associations d’élus, notamment l’AdCF, ce qui nous facilite le contact avec les collectivités. Et nous développons des accompagnements spécifiques et de long terme avec les collectivités qui adhèrent directement à l’association. Ces ateliers aident les élus et les techniciens à se « mettre à jour » sur les enjeux et à réfléchir concrètement à la façon dont leur projet de territoire peut intégrer cette vision spécifique et plus holistique ou systémique de la ville durable.
Nous percevons cette association comme un accélérateur de transformation des politiques territoriales et de diffusion de cette spécificité française.
Les Contrats de Relance et de Transition Écologique peuvent -ils constituer un cadre pour élaborer un projet de ville durable ? Comment France Ville Durable peut-elle aider les communes, les territoires dans ce sens ?
Nous travaillons, en ce moment, avec Caux Seine Agglo, justement sur l’élaboration de son CRTE, pour accompagner le territoire et ses élus dans la restructuration de leurs projets de développement durable, de transition écologique et énergétique. Cela a notamment permis à Caux Seine Agglo de changer la manière dont ses acteurs élaboraient au départ leur projet de territoire. Nous avons aidé les élus de cette communauté d’agglomération à prendre conscience des vulnérabilités de leur territoire face aux grands enjeux de l’anthropocène, alors qu’il est dépendant d’une industrie pétrochimique du XXe siècle qui va nécessairement connaître de profondes transformations, et ce faisant nous leur permettons de réécrire un projet d’avenir de leur territoire, en y intégrant par exemple la notion de résilience.
Pourquoi défendre un projet de ville durable « à la française » comme vous le présentiez plus tôt ? Contre quoi ?
En tant que président de France Ville Durable, j’ai eu la responsabilité de défendre l’association dans un certain nombre de colloques internationaux, comme le Smart City Congress à Barcelone. J’ai été frappé de voir que dans ces grandes rencontres internationales, des visions très claires de la ville durable sont exprimées par de nombreuses puissances. Dans les pavillons chinois, par exemple, s’affiche un très grand savoir-faire notamment sur les technologies de contrôle et de régulation de la population et des comportements. Dans les pavillons américains est davantage mise en avant la notion de ville servicielle : il n’y a pas de régulation publique mais plutôt des acteurs privés qui s’adressent, par la mise en place de certains outils, à la demande solvable.
Pour nous en France, une ville durable doit être appropriable par le citoyen, doit l’impliquer en respectant ses libertés fondamentales, lui permettant d’adopter par lui-même les comportements vertueux via des politiques d’incitation.
Face à ces différentes visions, je me suis dit qu’aucune ne correspondait à notre façon de voir, à notre conception propre, avec sa dimension démocratique et participative. Pour nous en France, une ville durable doit être appropriable par le citoyen, doit l’impliquer en respectant ses libertés fondamentales, lui permettant d’adopter par lui-même les comportements vertueux via des politiques d’incitation. Et cela doit être vrai pour tous les individus. Doit donc nécessairement apparaître la notion de régulation publique, nationale et locale. Tout ceci est très spécifiquement français, ou du moins européen.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience au sein de la ville de Dunkerque ?
Il s’agit, comme je le disais, de réfléchir à la manière dont on peut permettre à la population de s’approprier des comportements vertueux du point de vue de l’environnement. Nous avons donc mis en place le programme éco-gagnant, visant à peser sur ces comportements citoyens à travers, par exemple, le gain de pouvoir d’achat ou l’éducation populaire. À titre d’illustration, ce programme propose le bus gratuit : nous sommes la plus grosse agglomération en Europe à assurer la gratuité du transport public. Grâce à cela, la fréquentation du bus à Dunkerque a été multipliée par deux en seulement deux ans. Nous avons également mis en place un service exceptionnel d’accompagnement à l’amélioration de la compétence énergétique des logements anciens, qui a d’ailleurs servi de référence au rapport Sichel. Nous sommes, de plus, sur une réflexion autour de dispositifs permettant aux ménages d’économiser l’eau, via des politiques publiques d’accompagnement, par exemple par la récupération de l’eau de pluie pour l’entretien des jardins. Ce sont des solutions très concrètes visant à accompagner, et non à forcer la population à adopter des gestes bénéfiques pour l’environnement.
Nous avons effectué tout un travail autour de la transition industrielle. Nous avons d’ailleurs été lauréats de Territoires d’Innovation, avec le projet de transformation de notre complexe industrialo-portuaire pour le faire entrer dans le XXIe siècle, qui a complètement pris en compte la notion de transition écologique. Aujourd’hui, la gouvernance économique de notre territoire intègre à la fois les industries, les collectivités locales, le grand port maritime et la chambre de commerce autour de cette dynamique de transformation de notre industrie en une industrie plus compatible avec les enjeux du siècle. Le port de Dunkerque est déjà passé à l’après-pétrole : nous ne sommes plus dépendants de cette économie. Il nous reste encore à moderniser la sidérurgie, et nous accompagnons ArcelorMittal, le plus gros émetteur de CO2 des Hauts-de-France, dans cette transition énergétique, au même titre que toutes nos industries à l’échelle locale.
Le port de Dunkerque est déjà passé à l’après-pétrole : nous ne sommes plus dépendants de cette économie.
Toujours dans cette logique participative, nous avons mis en place des Fabriques d’initiatives locales, permettant aux citoyens de participer dès l’amont aux projets urbains. Dans la conception des nouveaux bâtiments, nous avons intégré des notions d’inclusivité assez exceptionnelles : la bibliothèque-médiathèque de Dunkerque, inaugurée il y a deux ans, est un exemple de mixité sociale et intergénérationnelle en France. Nous l’avons imaginé en ce sens, nous avons construit le bâtiment pour générer des liens sociaux. Nous travaillons en ce moment sur des projets d’école du futur et d’école résiliente, l’idée étant de développer des cours d’école qui, au lieu de n’être qu’une plaque de bitume, incorpore du végétal, des activités sportives, voire même des animaux, se transformant au fil des saisons, et permettant de faire cours en extérieur. Nous allons également développer à Dunkerque la première école « zéro perturbateur endocrinien »…
À chaque fois que nous mettons en place une politique publique, nous portons cette perspective à long terme. Dans notre projet d’aménagement de la digue de Dunkerque contre la submersion marine, nous intégrons des prévisions allant jusqu’à 2100.
Quels sont vos liens avec le programme Territoires d’industrie ?
Nous portons le double label de Territoire d’innovation et Territoire d’industrie, dont l’enjeu est, pour nous, de comprendre comment un bassin industriel de l’ampleur du nôtre peut perdurer en adéquation avec les impératifs du XXIe siècle. Il est nécessaire que nous revoyions complètement les pratiques de notre industrie de sidérurgie, qui est alimentée par du charbon pour produire de l’acier, et donc à repenser à tous les niveaux.
Nous accompagnons donc les acteurs industriels dans le cadre de Territoires d’innovation et de Territoires d’industrie dans cette bascule vers une autre forme d’économie.
Prenons le cas du partenariat avec ArcelorMittal : c’est déjà un projet d’économie circulaire, où l’on va chercher à voir comment l’entreprise peut intégrer des pratiques de recyclage. Plutôt que de produire cent pour cent d’acier neuf, ne peut-on pas plutôt récupérer de l’acier et produire à partir de celui-ci ? Vingt pour cent de l’acier de demain sera produit à partir de ce principe de recyclage. Il y a également la question de la récupération du CO2, celle du remplacement du combustible – à court terme, le gaz naturel, et à plus long terme, l’hydrogène, d’où des projets d’éoliennes offshore sur notre territoire.
Nous accompagnons donc les acteurs industriels dans le cadre de Territoires d’innovation et de Territoires d’industrie dans cette bascule vers une autre forme d’économie.
Cette logique est en train de se structurer sur dix-quinze ans, et nous cherchons à penser le bassin industriel de demain autour de deux grandes qualités : la diminution des rejets de CO2 et l’amélioration de la qualité de l’air et donc de la santé des citoyens. D’ailleurs, une start-up dunkerquoise, Terraotherm, permet grâce à un système innovant de laver les fumées industrielles d’un certain nombre de polluants.
Par ailleurs, vis-à-vis des questions énergétiques, on peut rappeler que Dunkerque est le plus vieux réseau de chaleur de France : elle œuvre depuis un moment déjà autour de la problématique de la récupération de la chaleur. La piscine de la ville est depuis les années 80 chauffée par la récupération de la chaleur produite par ArcelorMittal. Nous sommes en train d’étendre ce réseau aujourd’hui pour permettre également de chauffer des logements collectifs, voire des logements individuels. En réalité, ArcelorMittal pourrait chauffer six fois l’agglomération dunkerquoise, et donc rien que cet aspect pourrait nous permettre d’atteindre une efficacité énergétique remarquable. C’est pour cela que nous sommes en train de mettre en place une « autoroute de la chaleur » entre nos industries, sur le principe que certaines émettent de la chaleur, et que d’autres en ont besoin.
À votre avis, qu’est-ce que la crise sanitaire que nous vivons actuellement va changer vis-à-vis des problématiques urbaines, et en particulier dans votre ville de Dunkerque ?
C’est une question difficile, mais je peux vous parler de ce que j’ai déjà relevé jusqu’à maintenant, en partant de ce dont je peux être à peu près certain.
Premièrement, avant la crise sanitaire, nous abordions déjà, au sein de France Ville Durable, la notion de résilience, mais très peu comprenaient réellement ce que signifiait ce mot, en tout cas souhaitaient le mettre en avant. Ce qui a profondément changé, c’est que désormais ce concept s’est très largement répandu. Cette crise nous aura permis de prendre conscience que nous allions inévitablement subir des chocs à l’avenir, que nous étions vulnérables, et que si nous ne considérions pas cette vulnérabilité en amont, nous risquions de le payer très cher. La crise aura été un révélateur en ce sens qu’elle nous impose de réfléchir à notre résilience, c’est-à-dire à l’anticipation de l’adaptation du territoire aux chocs. Cela m’a amené, à titre d’illustration, à prendre la décision de nommer ici à Dunkerque un chargé de résilience pour la communauté urbaine. Je lui ai ainsi demandé de réfléchir à certains scénarios liés aux vulnérabilités de notre territoire : par exemple, que se passerait-il demain en cas de crise numérique, si nous étions victimes de hacking ? Il s’agit là de chercher à répondre en amont, par des propositions concrètes, aux crises potentielles de demain. Jusque-là, nous avions à Dunkerque des plans de prévention, mais ils se limitaient essentiellement aux risques industriels…
Penser le bassin industriel de demain autour de deux grandes qualités : la diminution des rejets de CO2 et l’amélioration de la qualité de l’air.
Ensuite, on peut dire que la crise a fait apparaître de nouvelles notions, par exemple celle des besoins essentiels. J’avais déjà intégré avant la crise à mon programme pour la campagne de 2020, l’idée de la création d’un service public universel des besoins essentiels, dans le but de définir ces derniers et de chercher comment les garantir. Ce travail est donc en cours ici, et je ne trouve pas ça inintéressant… Prenons l’exemple de la situation des étudiants, dont on s’est rendus compte avec la crise qu’elle pouvait être catastrophique, notamment pour les étudiants étrangers, qui sont souvent isolés, sans source de revenus, et ne savent pas forcément à qui s’adresser. On s’est aperçu que les réseaux associatifs n’étaient pas en capacité de s’adapter à cette conjoncture extrême. L’idée du service public universel que j’évoquais plus tôt est justement, au-delà de repérer les besoins essentiels, de rendre publique la façon dont la collectivité, la société civile, peuvent s’organiser pour y faire face, quelles que soient les circonstances. Pour moi, cette notion de besoins essentiels, comme celle de résilience, va perdurer après la crise, et va demeurer un enjeu d’importance.
La crise aura mis en lumière, également, un fort besoin de contact humain, qui peut-être nous pousse à plus d’inclusivité, à prendre la mesure de l’importance de lieux comme les cafés, etc.
Cela, je pense que les maires en avaient déjà une certaine conscience, au travers de ce qu’on appelle le lien social et la manière dont on le travaille. Cette idée de partage est pour moi au cœur de la démocratie. C’est également ce qui fait du carnaval un moment si important pour notre ville : la fête, dans sa dimension collective, est très importante ! Ce sont ces principes qui font l’importance de l’école mixte, où peuvent se retrouver différents milieux sociaux : c’est le lieu du frottement, du lien social par excellence. Tout ce qui vient façonner notre envie de partager entre concitoyens, conduit, finalement, au principe de démocratie locale.
On réalise donc, au travers du prisme de cette crise, que tout notre système démocratique, toutes nos logiques collectives, sont fondés sur le lien social.
On réalise donc, au travers du prisme de cette crise, que tout notre système démocratique, toutes nos logiques collectives, sont fondés sur le lien social, c’est-à-dire ce qui nous unit à nos concitoyens. C’est une réalité sur laquelle les maires travaillent beaucoup, qui est réellement intégrée par les communes, mais que je vois moins être abordée à l’échelle nationale… Je pense d’ailleurs qu’une bonne partie des mesures de régulation publique de la crise aurait dû être gérée à l’échelle locale, où les maires auraient pu, de manière plus pertinente, équilibrer le maintien du lien social et la protection sanitaire.
Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média