
Entretien majeur avec le Président du Grand Chalon, Président de l’Assemblée des Communautés de France : cette interview permet de mesurer l’importance du rôle des présidents de Communautés dans l’impulsion donnée à des stratégies de territoires et l’animation des tissus économiques et sociaux de ces territoires.
Mais aussi de mesurer le rôle de cette Association de Communautés dans la réflexion sur la place des territoires dans le développement et l’équilibre de notre nation.
Le projet du territoire du Grand Chalon
Vous venez d’entamer votre deuxième mandat de président du Grand Chalon. Quels sont les grands axes de votre projet de Territoire ?
Nous venons d’adopter notre projet de territoire, résultat d’un travail collectif de 400 élus de l’intercommunalité qui se sont ainsi appropriés la feuille de route du Grand Chalon. Elle définit les 4 grands enjeux du territoire :
– Le soutien au tissu productif de ce territoire industriel, plus tourné vers la production que vers le service.
– Le développement de l’attractivité du territoire, notamment par la dynamique économique, celle du cadre de vie et de l’environnement.
– La politique d’inclusion, à la base de la cohésion des territoires : en particulier en direction des personnes âgées (25 % du Département a plus de 65 ans, la moyenne nationale étant de 20 %). Cela signifie développer les services, le numérique, améliorer leur logement…
– Le développement de la vie associative, culturelle et sportive, qui est un enjeu de rayonnement.
Ce projet de territoire vous a -t-il permis de négocier avec l’Etat un Contrat de Relance et de Transition Écologique ?
En tant que Président de l’AdCF, qui porte depuis deux ans cette idée de Contrat global des communautés avec l’Etat, nous y voyons un grand facteur de progrès. Et en tant que Président du Grand Chalon, nous y voyons le moyen de réaliser notre projet, notre feuille de route.
En tant que Président de l’AdCF, qui porte depuis deux ans cette idée de Contrat global des communautés avec l’État, nous y voyons un grand facteur de progrès.
Le point de départ, c’est le projet de territoire, la stratégie partagée par les élus. Le CRTE est alors le fruit du dialogue avec l’Etat qui fournit les moyens de le mener. Le notre sera signé fin juin. Il associe trois autres inter communautés, constituant le bassin de vie du Chalonnais. C’est un outil important pour tous les partenaires : pour l’Etat, qui investit en toute sécurité sur un projet global, et pas juste sur des opérations ponctuelles ; pour les autres partenaires des collectivités qui ont une visibilité de long terme sur les projets du territoire, et peuvent donc eux-mêmes investir dans la durée.
Vous avez aussi mis en place un Territoire d’Industrie ?
C’est la même logique que le CRTE, nous nous sommes mis d’accord sur les orientations stratégiques industrielles du territoire, formalisé des fiches action, négocié avec l’État le Contrat du Territoire d’Industrie territorial. L’Etat s’est mis à l’écoute du territoire, de foncier économique, de formation, d’ingénierie, de son besoin de financement. Le territoire d’industrie n’est pas un élément séparé du CRTE, et le CRTE va reprendre le Territoire d’Industrie, le plan climat air énergie territorial (PCAET), la formation, la politique de la ville… Même si les Communautés n’ont pas toutes ces compétences, elles auront été identifiées. Et en matière d’enseignement supérieur, enjeu majeur du développement industriel, elles ont cette compétence.
L’AdCF a par ailleurs été très impliquée sur cette question des Territoires d’Industrie.
Quels sont les axes de votre projet de Territoire d’Industrie, vos projets dans ce domaine ?
Je sens qu’il y a un vrai regain vers l’industrie dans le pays. Nous devons accompagner sa montée en gamme, l’introduction du numérique dans le monde industriel. Le numérique, c’est bien connu, est composé de briques, (Intelligence Artificielle, Big Data, réalité augmentée, numérisation du process, robotique, …). A Chalon, nous avons créé un lieu dédié à cette transition numérique, l’Usinerie, qui intègre toutes ces briques et permet l’évolution numérique du monde productif. Ce centre de ressources ne crée pas des systèmes « prêts à porter », mais des solutions dédiées à chaque cas d’entreprise, différentes selon les entreprises et les secteurs.
Le territoire d’industrie n’est pas un élément séparé du CRTE, et le CRTE va reprendre le Territoire d’Industrie, le plan climat air énergie territorial (PCAET), la formation, la politique de la ville…
C’est aussi un centre de développement de compétences, du Bac + 3 (le CNAM) au Master et Doctorat avec l’ENSAM, qui fonctionnent sur le site de l’Usinerie. La recherche y est bien sûr directement associée.
Les questions de formation sont couplées aux questions de l’emploi. Comment menez-vous ce couplage ?
Nous organisons plusieurs fois par an une Conférence des Chefs d’Etablissements d’enseignement supérieur (du BTS au Doctorat, soit 20 établissements dans des domaines très variés). Nous y travaillons les questions de la vie étudiante, mais aussi les enjeux de développement des filières de formation en cohérence avec les débouchés.
Je réunis aussi le Président d’Université et des Grandes Ecoles (dont le CNAM) qui peuvent élaborer des cursus : un diplôme d’ingénieur en Big data et IA va conforter la filière du numérique et ouvrir en 2022 avec pour objectif de passer de 2300 à 3000 étudiants post bac en 2030.
Nous avons monté enfin une plateforme « Transition collective », la première en Bourgogne France Comté, retenue récemment parmi les 90 labelisées par le Ministère. Elle vise à accompagner les personnels des filières pouvant être en difficultés vers les secteurs en tension : ce dispositif finance la formation sur deux ans aux salariés des entreprises de plus de 300 salariés.
Mailler le tissu économique territorial, être créateur de synergie, animateur du monde économique territorial fait partie de notre rôle.
La Communauté anime le dialogue entre industriels et responsables de formation : je réunis tous les mois dix chefs d’entreprises pour leur permettre de se connaître. Mailler le tissu économique territorial, être créateur de synergie, animateur du monde économique territorial fait partie de notre rôle, cela permet aux entreprises de trouver des partenaires, des sous-traitants, des clients. Et inversement, les besoins des entreprises remontent et nous permettent de renforcer notre attractivité (nous créons un service de conciergerie dédiée aux salariés pour leur faciliter le contact avec le territoire dans tous les domaines pratiques et quotidiens). Il ne s’agit pas de Campus physique, car une ville moyenne ne rassemble pas tous les enseignements, mais nous travaillons sur cette idée.
Les liens entre les Communautés du territoire
En décembre 2019, au terme de votre premier mandat, le Grand Chalon est classée 3e agglomération la plus attractive de France.
Trois facteurs ont joué : notre connectivité avec le réseau des grandes villes (Paris, Lyon Dijon) à travers les infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires ; notre dynamique industrielle ; la qualité de vie que nous évoquions. Nous avions un point à faire évoluer : le numérique et cela nous a conduit au projet d’Usinerie.
On voit là l’importance des liens entre Métropoles, villes moyennes, et territoires ruraux. Comment les voyez-vous ?
Nous sommes très heureux de notre proximité avec des Métropoles, (Paris est à 1h20, Lyon à 40 minutes en TGV) car cela nous donne des accès à tous les systèmes de transports. Mais en même temps nous ne sommes ni assez près pour être vraiment dans le dispositif lyonnais (ou dijonnais), ni assez loin pour être complètement autonome. On a assez peu d’interaction en matière d’aménagement et de politique de développement.
Les territoires intermédiaires doivent être en connexion avec les Métropoles, en synergie, car leur proximité ouvre de multiples choix de vie. Mais chacun doit jouer sa partition.
La crise sanitaire a mis en évidence que le modèle métropolitain pur a des limites, qu’on ne doit pas y répondre par du Métropole bashing car on a besoin d’eux, que l’on doit mettre les territoires en réseaux et pas en silos. Les territoires intermédiaires doivent être en connexion avec les Métropoles, en synergie, car leur proximité ouvre de multiples choix de vie dans de nombreuses dimensions aux populations (formation, travail, affaires, …). Mais chacun doit jouer sa partition : ainsi les Métropoles n’ont plus la culture de la production, comme peuvent l’avoir des territoires plus petits, que cela soit dans le domaine industriel, ou dans le domaine agricole ou de la vigne.
J’ai toujours pensé que l’avenir appartenait à l’axe Lyon Dijon, qui passe par les villes de Chalon et Macon. Cela se fera sans doute, mais il faut du temps, sans doute 20 ou 30 ans. Et en imaginant le développement de chacun, qui seraient plus forts collectivement. Pas en se mettant dans la roue de Lyon.
L’AdCF
Vous êtes président de l’AdCF qui représente 85 % des Communautés de France. Quelle vision en avez-vous ?
L’intercommunalité a atteint un stade de vraie maturité institutionnelle. Les habitants connaissent leur appartenance à une interco parce qu’elle leur délivre un certain nombre de services. Elle est passée du stade de structure administrative technique à une entité politique qui porte un projet pour le territoire. L’intérêt des élus pour cette instance traduit bien cette évolution. C’est un fait et on ne reviendra plus dessus.
L’AdCF est généraliste, représente tous les types de Communautés (communauté d’Agglo, de Communes, Métropoles) et des communautés aussi bien rurales qu’urbaines ou mixtes. Son rôle est de les défendre et son ambition est de les conforter, de les faire progresser notamment dans leur gouvernance. Il ne s’agit pas de faire « plus d’interco », mais de faire « mieux d’interco ». L’AdCF est une association d’élus, interlocuteur de l’Etat, au même titre que l’AMF, l’ADF ou l’ARF.
Nous travaillons sur la relation Métropole / ville moyenne / ruralité à travers les politiques d’aménagement ou de développement qui sont au cœur des enjeux. Nous avons besoin les uns des autres, et chacun de tous les autres. Et c’est ce qui permet de sortir de situation de conflits, d’aller vers des territoires apaisés et de coopération élargie.
Et dans vos relations avec l’Etat ?
Cette relation joue sur deux axes :
– Le CRTE et les Territoires d’Industrie sont de vraies politiques contractuelles pluriannuelles de l’Etat avec des territoires : cette pluri annualité n’est pas dans la culture de l’Etat, mais cela permet aux territoires de se développer selon leur logique territoriale propre. Les CRTE sont une première étape.
– Il crée un cadre de dialogue avec l’Etat, de repenser la Conférence des Territoires comme lieu de dialogue, d’aboutissement d’un travail mené en amont dans des groupes de travail (finance, …). Ce processus ascendant redonne du sens à la conférence des territoires, qui relie tous ces travaux, crée du consensus et est l’opposé des démarches essentiellement descendante antérieures.
– Le CRTE de demain ira sans doute vers plus de déconcentration des crédits vers les territoires, et vers une approche plus globale des questions de financement : au lieu de segmenter, de mettre en silos les financements, avec toute une série d’appels à projets à thèmes imposés et généraux, il serait plus simple d’avoir un espace de dialogue avec « une dimension pluriannuelle, transversale, lié à une nouvelle contractualisation territoriale, partant des réalités de terrain » et non « mettre en concurrence les territoires par des appels à projets pléthoriques et conçus en silos ».1
Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média
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1 Sébastien Martin, Président d’AdCF 22/12/2020