
La Chaire UNESCO « Éducation & Santé » a été créée avant la crise du COVID-19, mais son importance nationale comme internationale est amplifiée par la crise sanitaire mondiale. À travers la problématique de l’éducation en matière de santé, ce sont diverses leçons qui sont promues : importance de la promotion de la santé ; du rôle collectif des acteurs de la santé, et bien au-delà des territoires ; nécessité de l’articulation de connaissances de tous types. Son travail concernant la COVID-19 et les écoles est précieuse. Elle apporte ainsi un éclairage pour les politiques publiques et la formation des professionnels de la santé publique comme de l’éducation.
La création d’une Chaire UNESCO est un événement important au niveau du pays hôte comme au niveau international. Pourquoi une Chaire UNESCO Éducation et Santé, en octobre 2018 ? À quels objectifs globaux pour l’UNESCO cela correspondait-il ?
La décision concrète de la création de cette chaire a été prise en 2016 lors de la Conférence de haut niveau des ministres de la santé de l’OMS à Paris à l’UNESCO, avec la volonté de développer des partenariats intersectoriels entre santé et éducation autour des questions de la santé à l’école.
Elle est fondée sur la prise de conscience progressive de l’importance de faire travailler ensemble les différents acteurs (éducatifs, sociaux, les collectivités territoriales, les réseaux associatifs…) de tout le secteur de la santé, autour des problématiques de réduction des inégalités et de l’amélioration des conditions de santé des enfants. L’objectif, c’est donc la promotion de l’intersectorialité au service de cet enjeu : c’est un objectif mondial, mais qui se joue au niveau local.
La Chaire Éducation et Santé UNESCO
Les enjeux sociétaux majeurs appellent une réponse collective et coordonnée de l’ensemble des secteurs impliqués. Il est temps de créer de nouvelles synergies afin d’agir efficacement et durablement pour la santé des enfants et des jeunes. La Chaire UNESCO et Centre collaborateur OMS « ÉducationS & Santé » vise à promouvoir et soutenir le développement de pratiques et de politiques intersectorielles renouvelées.
Les missions de la Chaire s’inscrivent dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD) et s’organisent autour des quatre piliers suivants :
– Construire une communauté globale
La Chaire favorise la collaboration à l’échelle mondiale en créant une communauté globale, qui rassemble l’ensemble des acteurs impliqués (universités, organisations publiques et privées, professionnels, citoyens engagés).
– Produire des connaissances
La Chaire contribue à la production et au transfert de connaissances orientées vers l’action, pour soutenir l’évolution des pratiques et des politiques.
– Développer les compétences
La Chaire UNESCO concourt à la formation et au développement des compétences de l’ensemble des acteurs, afin de renforcer et professionnaliser le secteur de la promotion de la santé, de la prévention et de l’éducation à la santé.
– Partager des connaissances
La Chaire UNESCO est un espace de partage des connaissances, de communication et d’information, elle contribue à accompagner le changement social en faveur de la santé et de l’éducation.
Qu’est-ce qui est mis en place par la chaire pour répondre à ses objectifs ?
La chaire est un catalyseur de transformation en faveur de la santé. Elle agit concrètement sur les différents leviers qui permettent de développer la capacité d’action des territoires comme des institutions. La recherche à visée opérationnelle ; le transfert de connaissances via des outils de plaidoyer, d’aide à la décision ou d’intervention ; l’animation d’une communauté associant monde académique, les institutions, réseaux, associations, syndicats, collectivités ; la valorisation des travaux produits à l’échelon mondial ; la formation…
La chaire agit concrètement sur les différents leviers qui permettent de développer la capacité d’action des territoires comme des institutions.
Par exemple, lors de la conférence de haut niveau des ministres de l’éducation organisée par l’UNESCO fin mars 2021 sur la thématique de l’ouverture des écoles pendant la crise, notre travail était de produire une synthèse des connaissances scientifiques pouvant guider la mise en œuvre de politiques éducatives de santé cohérentes. Il s’agit donc de produire des connaissances et de les partager, via l’information, l’action en direction des acteurs politiques, les publications, etc. Nous participons avec d’autres centres collaborateurs OMS à la rédaction de recommandations pour soutenir les pays dans la production de politiques favorables à la santé. La chaire pilote également une étude mondiale sur le COVID à l’école incluant des études de cas, un dispositif international de recherche sur la participation des enfants et des jeunes à la vie locale, des processus d’évaluation des outils pédagogiques mis en place… La chaire porte aussi des projets de mise en place de dispositifs de formation en Afrique de l’Ouest et centrale, en Haïti. Ce sont des actions concrètes et opérationnelles, des interfaces entre recherche, action politique et action pédagogique, entre la production de connaissance et l’action sur le terrain.
Vous avez comme ambition de publier une cartographie mondiale de recherche en promotion de la santé et un manuel de référence visant à structurer le champ de recherche. D’après vous, qu’est-ce que les chercheurs en éducation, en santé publique, en promotion de la santé ont à apprendre les uns des autres ?
Il est clair que nous manquons de données scientifiques pour fonder les politiques et les pratiques. Si aujourd’hui l’accent est mis sur les besoins en termes d’études épidémiologiques permettant de décrire l’état de santé des populations, il est également indispensable de progresser dans la connaissance des mécanismes qui permettent aux personnes comme aux collectivités ou aux institutions d’agir efficacement en faveur de la santé de tous et de la réduction des inégalités. Au-delà de l’observation des comportements (la science des problèmes), il s’agit de renforcer et structurer les dispositifs de production de connaissance sur les organisations qui permettent d’améliorer la santé là où vivent les gens (la science des solutions). Il existe une grande richesse à la fois de pratiques (dans différents milieux et auprès de publics variés) et de données de recherche, mais la perspective est souvent ce que l’on appelle le « solutionisme » – il y a un problème, il y a une bonne solution, un bon protocole nous devons juste l’implanter. Aujourd’hui, la priorité est de travailler à la mobilisation collective autour des enjeux de santé, d’améliorer la qualité de l’environnement et des services rendus aux populations plutôt que de tenter d’implanter une intervention universellement efficace. Autrement dit, de développer au-delà de la science de l’implantation, une véritable science de l’amélioration en contexte avec les personnes concernées. Ce renouvellement des pratiques de santé publique passe par la création de nouveaux écosystèmes de production et de partage des connaissances au service de l’action.
Le système de santé en France est essentiellement centré sur les soins, mais peu sur la promotion de la santé, sur la prévention.
C’est effectivement le cas et les conséquences en sont évidentes. Par exemple, la mortalité prématurée évitable par la prévention chez les hommes est près de deux fois plus élevée en France que chez nos voisins européens. En particulier, on manque encore souvent d’une approche de la formation qui pourrait permettre aux acteurs de la santé d’être plus ancré dans une vision intersectorielle s’appuyant sur la connaissance des déterminants de la santé des populations. Mais les choses changent très vite, et on peut voir dans le contexte actuel l’opportunité de mettre en œuvre ces évolutions. Les sciences humaines occupent une part de plus en plus importante dans les formations aux métiers de la santé, et la promotion de la santé prend également sa place progressivement.
Vous avez publié un livre, Écoles et crise sanitaire en janvier 2021. Comment cette problématique a-t-elle été abordée dans les différents pays ?
La première chose importante à souligner, c’est que tous les pays n’ont pas mis en œuvre les mêmes mesures, à la fois du fait de la dynamique épidémique mais également pour des raisons socioéconomiques.
Ensuite, bien qu’on observe une convergence dans les protocoles sanitaires (distanciation sociale, utilisation des masques, limitation des regroupements, aération des locaux…), ils sont dans certains contextes difficile à appliquer. En Amérique Latine, par exemple, il est parfois préférable de ne pas ouvrir les fenêtres, qui ne sont pas toujours équipées de moustiquaires, dans les périodes où les moustiques véhiculant la dingue sont très présents. Il s’agit de trouver un équilibre entre les différents risques sanitaires.
Il s’agit de produire des connaissances et de les partager, via l’information, l’action en direction des acteurs politiques, les publications, etc.
Enfin, l’étude montre que, souvent, les instructions gouvernementales n’ont pas pris suffisamment en compte la réalité de l’exercice pédagogique. Ce n’est que très progressivement que s’est forgé une vision plus opérante, au-delà des simples consignes sanitaires, pour aller vers une organisation de la vie des établissements et une dynamique pédagogique adaptées aux besoins des élèves.
Quelles sont les bonnes mesures d’accompagnements des gestes barrières à l’école ? Ont-elles été mises en place dans les pays performants que vous citiez tout à l’heure ?
Ces mesures doivent répondre à trois objectifs : protection, prévention et éducation. Concrètement, cela va de l’accès à un espace suffisant dans les cantines, du développement des dynamiques de communication entre tous les acteurs (professionnels, familles, élèves, partenaire de l’école) à la mise à disposition d’outils pédagogiques qui permettent de travailler sur la santé, le corps, etc.
Il est également indispensable de progresser dans la connaissance des mécanismes qui permettent aux personnes comme aux collectivités ou aux institutions d’agir efficacement en faveur de la santé de tous et de la réduction des inégalités.
Dans les pays où la crise a été gérée de façon satisfaisante, il existe de fortes cultures de la promotion de la santé à l’école. On retrouve de façon générale dans les politiques d’école une dimension explicite autour de la santé, un curriculum en santé, des dispositifs qui promeuvent l’activité physique, et un travail commun avec les municipalités, autour de l’alimentation par exemple. Pour autant, il faut être prudent quant au caractère systématique des dispositifs, les politiques sont moins centralisées ce qui laisse beaucoup de places aux mécanismes locaux. Ceci étant, il reste beaucoup à faire en France pour que chaque établissement scolaire puisse bénéficier d’un vrai parcours éducatif de santé.
Vous avez produit d’autres ouvrages : comment la COVID pousse t’elle éducation vers le futur et comment modéliser l’impact de la réouverture des écoles sur l’épidémie. Pouvez-vous nous en parler ?La crise a généré une transition qui permet d’ores et déjà de s’ouvrir à d’autres pratiques pédagogiques, non pas dans une logique de remplacement mais plutôt de mise en synergie avec les enseignements plus classiques. La classe inversée, par exemple, dont la pertinence est bien établie, s’est largement développée dans le contexte de fréquentation par demi-groupe, de même que des dispositifs de soutien aux élèves en difficulté. Il en est de même de la reconnaissance de l’importance de l’implication des parents dans l’éducation comme du rôle majeur des collectivités. Il y a aujourd’hui une vraie opportunité d’enrichissement et de développement des pratiques. Ce qui est nouveau, mais très important, c’est aussi que la question des inégalités a été présente et mise en avant comme problématique principale tout au long de la crise.
Aujourd’hui, la priorité est de travailler à la mobilisation collective autour des enjeux de santé, d’améliorer la qualité de l’environnement et des services rendus aux populations.
On constate également une augmentation du temps passé devant des écrans chez les jeunes.
La pratique des écrans n’est pas une pratique univoque, qui serait soit bonne soit mauvaise. Les études montrent que dans certaines conditions elle favorise la lecture, dans d’autres c’est le contraire. C’est une question d’usages. Ce qui est certain c’est que la situation, qui a amené les enfants à passer beaucoup plus de temps sur les écrans, a aussi conduit à une prise de conscience collective des enjeux liés à l’accompagnement de cette pratique par l’éducation à l’école, en famille et au sein des associations d’éducation populaire.
Quels projets aimeriez-vous développer pour continuer le travail déjà engagé par la chaire ?
Le rôle de la chaire est de contribuer, modestement, à l’émergence de sociétés plus inclusives et plus équitables par la recherche, le partage de connaissances et la formation. Pour cela, nous nous attachons à faire vivre une communauté mondiale d’acteurs engagés dans la santé et l’éducation des enfants. Nos projets sont très concrets : programmes de recherche, outils d’aide à la décision, ressources pour l’intervention, formations diplômantes en ligne et hybrides, webinaires, MOOC… Notre ambition est de voir se développer d’autres chaires EducationS & Santé dans les pays du sud comme du nord. Nous travaillons actuellement à la création de chaires en Chine, au Sénégal, au Portugal…
Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média
Photo par Baim Hanif sur Unsplash