
La rénovation thermique des bâtiments, si elle était faite de façon performante c’est-à-dire de façon globale, conduirait l’État à remplacer ses factures pour importer du fuel ou du pétrole en investissements pour la rénovation thermique durable. Elle conduirait le propriétaire d’une maison de 1975 à remplacer le paiement de ses factures d’énergie en remboursement d’un prêt sur 10 ans. La démonstration qui est présentée ici est convaincante et a été validée par l’expérience : qu’attendent les décideurs français ou européens ?
Le constat
La rénovation des bâtiments peut être regardée sous des angles très différents : immobiliers, climatiques, économiques, industriels, sociaux…
Chaussons d’abord nos lunettes énergétiques pour quelques constats. Le bâtiment en France engloutit environ 45 %, soit près de la moitié, de toute la consommation énergétique française, presqu’autant que l’industrie et les transports réunis.
Les besoins dans le bâtiment justifient donc l’essentiel de nos importations énergétiques : le pétrole d’ex-URSS, du Moyen-Orient et d’Afrique, le gaz d’Europe du Nord, de Russie et d’Afrique, l’uranium du Kazakhstan, du Niger, du Canada et d’Australie.
Ces consommations dans le bâtiment répondent à 3 grandes demandes : le chauffage, l’eau chaude sanitaire, et les usages dits « spécifiques » de l’électricité (éclairage, bureautique, électroménager…). Le chauffage est, de loin, la première source de consommation puisqu’elle représente un tiers environ de toute l’énergie française consommée.
Mais revenons à la source : pourquoi chauffons-nous nos bâtiments ? La réponse peut déconcerter : parce qu’ils fuient ! Nous savons aujourd’hui réaliser des bâtiments (neufs) sans chauffage, dans lesquels les apports solaires, les pertes des occupants et des appareils suffisent à assurer une température de confort, hiver comme été. Nous consommons donc massivement du fioul, du gaz, de l’électricité et du bois dans nos bâtiments pour compenser les pertes de chaleur qui s’échappent par les murs, la toiture, les sols, les portes et fenêtres extérieures, et le renouvellement de l’air.
Tous les parcs de bâtiments ne se ressemblent pas : le chauffage est prioritairement consommé dans les logements (et non dans les bureaux ou autres commerces), et surtout dans ceux d’avant 1975, date de l’obligation d’isoler les constructions françaises suite à la première réglementation thermique de 1974. Au sein des logements, les maisons consomment plus que les immeubles. Le seul chauffage des 8 millions de maisons d’avant 1975 (le quart du parc de logements français) représente 10 % de toute la consommation énergétique française.
Littéralement, nous pouvons donc affirmer que nos importations massives d’énergie servent prioritairement à chauffer les oiseaux.
Dorémi
Dorémi, c’est une famille. Une famille au service de la rénovation énergétique performante. Une famille composée d’artisans engagés, de collectivités partenaires soucieuses des enjeux climatiques, une équipe nationale et régionale. Cette famille travaille ensemble, main dans la main, change ses méthodes de travail pour répondre aux besoins des propriétaires sensibles et investis dans leur projet de rénovation (extrait du site de Dorémi).
Les objectifs et la méthode
Quand un humain a froid, il met un pull. Quand une baignoire a une fuite, on la colmate. La solution pour notre parc bâti est simple : il faut le rénover thermiquement.
Ce constat a abouti en 2015 à un consensus national et à l’inscription dans la loi d’un objectif-clé : disposer d’un parc bâti rénové au niveau BBC Rénovation (« Bâtiment Basse Consommation ») ou équivalent à l’horizon 2050. Nous appellerons « rénover performant » le fait de « rénover à un niveau BBC Rénovation ou équivalent ». Cet objectif conduit à diviser par quatre les consommations de chauffage du parc bâti français d’ici 2050, et c’est le bon niveau pour que la France relève les défis énergétiques, climatiques et sociaux (précarité énergétique) dans le bâtiment : réduire ces ambitions conduits à des objectifs trop élevés pour les transports, l’agriculture et l’industrie, et les augmenter conduit à des défis insolubles (on ne sait pas techniquement et économiquement rénover les bâtiments anciens au niveau des bâtiments neufs passifs actuels).
Que représente le fait de « disposer d’un parc bâti rénové au niveau BBC Rénovation ou équivalent » ? Imaginez que vous soyez parachuté au hasard n’importe où en France : en pleine campagne, en pleine ville ou en banlieue. Votre mission est de trouver, pour tous les bâtiments que vous voyez autour de vous, la bonne stratégie pour isoler suffisamment la toiture, les murs, si possible le sol, remplacer et rendre performants les portes et fenêtres extérieures, le chauffage et la ventilation.
Nous avons cru pendant des années que la bonne stratégie était de multiplier et juxtaposer les actions de travaux, ici les changements de fenêtres, là le remplacement des chauffages… Malheureusement, rénover performant requiert aussi de bien traiter les « interfaces » entre postes de travaux : continuité entre murs et menuiseries, entre murs et toiture… Ce point n’est pas un point de détail : rénover au bon niveau de performance requiert de colmater les fuites d’air parasites, en plus des fuites de chaleur. Cela revient à mettre un coupe-vent (étanchéité à l’air) en plus du pull (isolation).
Ces constats ont conduit à la conclusion, peu intuitive, qu’atteindre nos objectifs de rénovation performante à 2050 nécessite de limiter le nombre d’étapes de travaux ; la bonne stratégie est donc de rénover performant en une étape, parfois deux, et dans des cas exceptionnels trois (1), car nous ne savons pas, et dans la majorité des cas nous ne pouvons pas traiter correctement les interfaces à des années d’intervalles.
Cette conclusion est si loin de nos pratiques actuelles qu’elle heurte beaucoup d’acteurs et de positions bien établies – elle requiert une transition dans nos pratiques et notre vision des rénovations (vision globale).
Des solutions
Heureusement, des retours d’expérience acquis ces dernières années ouvrent des voies nouvelles pour rendre possible ces stratégies de rénovations performantes massives (2) : les rénovations « complètes » (en une étape de travaux) et performantes conduisent à rassembler en même temps sur le chantier les 6 corps de métier nécessaires pour conduire les postes de travaux mentionnés. Cela permet une réelle coordination, et ainsi une optimisation du chantier et des coûts de travaux. Les rénovations complètes et performantes coûtent finalement moins chères que si les travaux avaient été réalisés par étapes, et elles obtiennent des performances bien meilleures (effondrement des factures de chauffage d’un facteur 4 à 8 pour les maisons d’avant 1975, par exemple, dans le cadre des retours d’expériences du dispositif Dorémi). La qualité de leur mise en œuvre et également bien plus facilement contrôlables que les actions de travaux partiels conduits actuellement, qui ne permettraient même pas de sauter d’une seule classe énergétique dans 75 % des cas (3).
Chaussons nos lunettes économiques et financières : ces rénovations encore largement méconnues ouvrent un nouveau modèle économique qui n’avait pas été identifié jusqu’à présent et qui semble aujourd’hui accessible au moins pour les 8 millions de maisons d’avant 1975 : prenons une maison avec une facture de chauffage de 2 000 euros par an. Une rénovation complète et performante conduit à une facture annuelle de chauffage de 400 euros, et elle se finance avec une mensualité de prêt de 1 500 euros par an. Les économies de chauffage générées permettent de couvrir le remboursement du prêt – c’est ce que l’on appelle « l’équilibre en trésorerie ».
L’Association négaWatt (4) a montré que les 2 milliards du plan de relance utilisés sous forme de subventions conduisent à rénover 50 000 logements à un niveau performant, mais plus de 600 000 s’ils sont utilisés en bonification d’intérêt de prêts à taux zéro… Les fonds publics mobilisés pour la rénovation énergétique sont aujourd’hui dispersés sur des morceaux de travaux et gagneraient à être concentrés sur des rénovations performantes, en s’appuyant sur des prêts bonifiés. Les fonds publics mobilisés actuellement permettraient donc déjà de massifier la rénovation performante, si nous réorientons notre stratégie financière.
L’équilibre en trésorerie conduit finalement à permettre de transformer des milliards d’euros de factures annuelles pour l’achat de consommables (pétrole, gaz, uranium) en dizaines de milliards d’euros d’investissements annuels en travaux de rénovation performante, et donc en emplois locaux non délocalisables. Des montants qui alimenteraient également notre industrie.
Chaussons enfin nos lunettes sociales : généraliser ces rénovations performantes conduirait à la création de plus de 300 000 emplois en France (5) et revaloriserait les métiers du bâtiment, qui souffrent d’un manque de sens et de reconnaissance. Ils permettraient aux millions de ménages qui subissent aujourd’hui la précarité énergétique, véritable bombe à retardement sociale, de sortir de leurs tensions en effondrant leurs factures de chauffage.
Ces rénovations requièrent une formation des entreprises locales du bâtiment, et un accompagnement renforcé des ménages (technique, économique et humain) pour réaliser les bons choix. Toutes ces démarches et ces dynamiques se font au bénéfice des territoires.
Ce que nous disent au quotidien les ménages de leur logement rénové et performant ? Qu’il est confortable été comme hiver, que la qualité d’air intérieur y est excellente, que le confort acoustique est amélioré, que leur valeur patrimoniale a fortement augmenté (6)…
Qu’attendons-nous pour généraliser la rénovation performante ?
Vincent Legrand
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Notes
(1) Voir notamment l’étude très complète Rénovation performante par étapes publiée en janvier 2021 par l’ADEME – https://librairie.ademe.fr/urbanisme-et-batiment/4168-renovation-performante-par-etapes.html?search_query=Renovation+performante+par+etapes&results=243
(2) Voir notamment le rapport Résorber la précarité énergétique et rénover les passoires thermiques – Solutions innovantes et prêtes à déployer pour rendre accessible à tous la rénovation performante des maisons individuelles, publié en juin 2018 par l’Institut négaWatt, en partenariat avec la SEM Énergies Posit’IF, pour la Ville de Montfermeil, dans le cadre du PIA « Ville de demain » : https://www.institut-negawatt.com/fichiers/autres_documents/etude_juin_2018_inw.pdf
(3) Étude TREMI publiée par l’ADEME en 2018 : https://librairie.ademe.fr/urbanisme-et-batiment/1666-travaux-de-renovation-energetique-des-maisons-individuelles-enquete-tremi-9791029710223.html
(4) Publications d’articles : https://decrypterlenergie.org/category/demande-denergie/batiment et des notes : https://www.negawatt.org/Publications?id_mot%5B%5D=25&id_mot%5B%5D=&annee=&recherche=
(5) Synthèse du scénario négaWatt 2017-2050, Association négaWatt, p.44 : https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese_scenario-negawatt_2017-2050-2.pdf, sur la base d’une étude de contenu en emplois.
(6) Voir sur le sujet de la valeur verte les études « DINAMIC» de la Chambre nationale des notaires.
Photo par Charles Deluvio sur Unsplash