
Le projet de territoire d’une ville pauvre peut être très riche ! Riche de sa capacité à maintenir vivant les liens sociaux, que la pauvreté peut dégrader ; Riche de sa capacité à donner la parole aux habitants ; Riche de la maîtrise de son embellissement environnemental !
Le rôle d’une municipalité pauvre dans la transformation en profondeur de son territoire tient à ses liens avec ses habitants, pour construire avec eux des projets, et à défendre cette unité et fierté face à des risques de gentrification. A suivre avec grand intérêt !
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Dès 2014, vous avez été adjoint au maire (EELV), Michel Bourgain, de L’Ile-Saint-Denis, en charge du développement économique et du Grand Paris, auquel vous succédez. Puis vous êtes réélu en 2020 pour un second mandat.
Pouvez-vous nous parler de l’Ile-Saint-Denis, une ville où cohabitent « 85 nationalités » ?
Pour en parler, je commencerai par dire que c’est mon île. Je suis un enfant du pays. C’est une île assez singulière de par sa géographie dans notre métropole du Grand Paris, dans le territoire de Plaine Commune et du département de Seine-Saint-Denis. Met également c’est également par son esprit village. L’île compte un peu plus de 8 000 habitants, c’est plus petit qu’un quartier de Saint-Denis, ou de Saint-Ouen, ou du centre-ville de Villeneuve-la-Garenne dont nous sommes voisins. S’y concentre pas mal de choses : il y a la diversité de ces populations, avec 85 nationalités ; une vie associative très intense, avec plus de 85 associations. C’est également une ville pauvre économiquement. On était il y a 4 ans à 70% de logements sociaux, on en est maintenant à 61%. Un ménage sur trois est monoparental. Le revenu médian est autour de 1200 euros par ménage et par mois. Le taux de chômage des jeunes avoisine les 35%. Être une ville atypique dans un territoire pauvre, avec des fragilités, cela nous oblige à penser différemment pour exister et construire l’espoir. C’est cela l’histoire de L’Île-Saint-Denis.
Pour situer vos projets, vous avez un Parc départemental, une belle installation sportive, une partie du village olympique, une future base nautique et une future cité des arts. C’est un peu atypique.
Ce qui est atypique, c’est la stratégie (…) le choix de porter un projet de développement autour de la transition écologique et solidaire, en créant une alliance entre l’institution et la société civile.
Ce qui est atypique, c’est la stratégie qui a été amorcée par mon prédécesseur en 2001. On a fait le choix de porter un projet de développement autour de la transition écologique et solidaire, en créant une alliance entre l’institution et la société civile. L’idée était que : seule, l’institution n’y arrivera pas, sauf en mettant les personnes au cœur du réacteur institutionnel pour porter le projet de ville. L’ADN du projet de ville ce sont les valeurs que l’on rappelle : Citoyenneté, écologie, solidarité. Ceux sont les trois axes que l’on travaille à décliner. On a aussi travaillé à ménager le territoire, ménager les personnes, ménager l’eau. Notre commune, c’est 177 hectares. Notre objectif, c’est d’être à 50 hectares d’espaces naturels, 50 hectares d’espaces urbanisés et 77 hectares d’eau. C’est la répartition de notre projet. Aujourd’hui avec le Parc départemental et les nombreux espaces verts, on est avec 44 hectares d’espaces naturels (dont 30 hectares concernent notre superbe parc départemental). Par ailleurs, nous nous construisons un nouveau parc à côté du village olympique, au cœur de la ville et nous travaillons avec Saint-Ouen à ouvrir l’île des Vannes pour en faire un parc urbain ouvert sur la ville . Nous aurons à termes 60 hectares d’espaces naturels, l’objectif principal étant d’avoir un espace vert à moins de 5 minutes de chez soi. Avec l’aménagement des berges de Seine, les arbres d’alignement identifiés par le département comme patrimoine remarquable protégé, on sanctuarise le bras de Seine comme espace de loisirs et de sports nautiques, ouvert sur l’ensemble du territoire.
Le développement de la commune s’est aussi organisé autour de la transition écologique, avec notamment, la création du premier espace économique privé du territoire de l’économie sociale et solidaire (ESS) avec 49 entreprises.
Le développement de la commune s’est aussi organisé autour de la transition écologique, avec notamment, la création du premier espace économique privé du territoire de l’économie sociale et solidaire (ESS) avec 49 entreprises. On en a fait une vraie stratégie de développement. L’ESS est ancrée sur le territoire et travaille autour de la transition écologique. Au nord de la ville, un projet Lil’Ô, une ferme horticole, porté par une association d’insertion Halage, et par une coopérative Les alchimistes et d’autres petites associations qui travaillent sur le lien habitants. Par ailleurs, la ville a signé avec les associations une convention permettant de récupérer les déchets alimentaires scolaires, qui sont compostés à Lil’Ô et permettent de renaturer la ville. L’association de maraichage Halage contribue aux enjeux horticoles en produisant des fleurs que la ville rachète. Cela crée une filière économique vertueuse et locale. Cela permet de faire de la prévention dans les écoles sur l’équilibre alimentaire. Nous avons aussi installé des bornes de compostage alimentaires dans tous les quartiers de la ville.
En Seine Saint-Denis, il y a de nombreuses friches urbaines, on réhabilite ces friches et les gens en créant des écosystèmes intégrés, où les pouvoirs publics forment un effet de levier. Dans la restauration scolaire, on nous allons avoir prochainement 80% de bio, 50% de végétarien (deux jours par semaine) Nous avons une cuisine centrale qui s’appelle la cuisine du bon goût, où on organise, en régie municipale, l’ensemble de la restauration scolaire que nous livrons nous-même. Cela nous permet de créer un effet levier de l’emploi localement C’est une fierté communale : qui recrute, on cuisine, on composte
Nous avons aussi une politique forte en matière d’insertion. La règle est simple, 50% de nos agents sont habitants de L’île-Saint-Denis. Pour les jeunes, il s’agit d’emploi communal : pour l’animation, des équipements sportifs, du gardiennage, entretiens, etc. Pour les femmes sans qualifications, ce sont des emplois d’ASEM et des emplois d’entretien. Il y a aussi des profils un peu plus qualifiés, responsables de service, chargés de mission, directeur, … La ville est le plus grand employeur de la commune. L’emploi est une priorité de notre action.
Quels sont vos rapports avec Plaine Commune, et le projet de territoire de l’agglomération ?
Nous défendons une vision coopérative de ville et une approche du territoire commune. La relation est bonne avec l’agglomération et le département. L’Île-Saint-Denis, c’est 8 000 habitants, l’agglomération c’est 430 000 habitants et le département c’est 1,6 million. Sans coopération, on ne peut pas fonctionner. La culture de la coopération est chez nous assez naturelle et nécessaire. L’Île-Saint-Denis a porté et a apporté une vision écologique, un projet de transition écologique et d’écologie urbaine. Nous sommes reconnus pour cela. On a une certaine assise sur les questions d’innovation autour de l’ESS et de la transition écologique. Avec la nouvelle majorité, nous continuons de travailler et de porter un projet de territoire, autour de la transition écologique solidaire du territoire.
Avec les gros projets d’aménagement, l’ANRU, les grandes gares métropolitaines qui arrivent chez nous, il existe un risque de gentrification.
Avec les gros projets d’aménagement, l’ANRU, les grandes gares métropolitaines qui arrivent chez nous, il existe un risque de gentrification. Il ne faut pas le subir, mais le gérer. Mon objectif, c’est comment construire une cohésion sociale et un vivre ensemble avec les nouveaux habitants et les habitants historiques dans les quartiers.
On a un positionnement par rapport à cela. Le niveau de prélèvement social est élevé et il nous protège. Dans les nouvelles constructions (avec un minimum de 30% de logements sociaux), on mélange privé et social, et cela permet d’éviter l’inflation des prix. On cherche principalement à faire venir des jeunes, de Paris ou de province, qui accède par choix et adhère à notre projet de transition écologique solidaire et joyeuse… C’est une bonne formule, les prix ne sont pas très élevés, pour une vie au bord de l’eau, qui n’a certes pas l’attractivité d’une grande ville et tous les commerces de proximité, mais qui a un esprit village unique. Voilà le récit qu’on raconte Parallèlement, nous souhaitons développer l’artisanat, l’art, la culture, l’ESS. Au l’inverse du récit sur la gentrification et la métropolisation, ce qu’on construit c’est un lieu à plusieurs fonctions où l’on puisse vivre, travailler et flâner.
Dans un interview pour le journal officiel des banlieues, vous indiquiez : « La société, nous on pense qu’il faut la faire muter. C’est à nous de changer les gens qui sont dans le capitalisme et qui ont conscience de leurs limites ».
Comment vous différentiez-vous de l’approche libérale de l’économie sociale et solidaire à la mode du Groupe SOS ?
Rôle de l’ESS dans nos territoires pauvres, a été de palier aux fragilités des services publics et de l’économie de marché. On rentre dans une seconde phase, où l’ESS est innovateur, défricheur et développeur des territoires.
La question du rôle et du sens de nos missions : la mission première du groupe SOS est de créer de l’emploi par le développement économique le plus rapide possible. Nous ce qu’on fait, c’est du développement territorial, de l’attractivité territorial et du lien et pas seulement se « limiter » à cééer de l’emploi. Le rôle de l’ESS dans nos territoires pauvres, a été de palier aux fragilités des services publics et de l’économie de marché. Aujourd’hui on rentre dans une seconde phase, où l’ESS est innovateur, défricheur et développeur des territoires. C’est là notre différence avec le développement économique de l’ESS pour l’emploi.
Une entreprise ne vit sans le territoire, l’air, l’eau, les hommes, la formation, tout vient du territoire. Quel lien faîtes vous entre territoire et entreprise ?
L’entreprise ne peut se séparer de son territoire, c’est ensemble qu’on peut se transformer.
L’entreprise ne peut se séparer de son territoire, c’est ensemble qu’on peut se transformer. C’est la question du récit territorial pour qu’on arrive à construire ensemble, chef d’entreprise, président d’association, élu local, citoyen… pour construire du développement territorial, et pas seulement de la croissance, afin de mieux vivre. C’est cela qu’on essaie de poser avec de la coopération, avec la question de « quelle est la bonne taille de ville pour être heureux ? ». Cela correspond à nos réalités d’aujourd’hui. C’est tellement violent tout ce qui se passe dans notre département : la transformation urbaine est si rapide, les chocs sont si importants, … C’est comme cela qu’on peut tenir une ville, donner confiance aux gens. On est entre une quarantaine à une centaine d’entreprises, selon les échelles territoriales, sans compter les petites associations qui maillent les quartiers et nos villes.
Vous êtes aussi vice-président de l’AMF. Quel rôle vous vous fixez dans cette association ?
Je suis devenu vice-président de l’AMF en 2017, étant déjà au dernier bureau comme co-président de la commission de la transition écologique. J’étais en lien avec l’association des maires ruraux qui avaient comme préoccupations la gestion de l’eau, les éoliennes, et de l’agriculture. J’apportais au débat la question de la santé dans nos quartiers populaires, de l’écologie populaire et de la démocratie. Un deuxième axe a été très rapidement identifié, sur l’ESS, l’insertion, l’emploi et plus largement la politique de la ville. Maintenant nous portons la question de la revitalisation des villages avec l’ESS et à travers des modèles hybrides, à travers la recherche d’un autre modèle de société et de vie dans nos quartiers. Nous travaillons avec plusieurs ministres sur la question de l’insertion des jeunes. J’ai un pied dans l’ESS et un autre dans la transition écologique.
L’un des points qui saute aux yeux à la lecture de votre site, c’est la volonté de donner aux citoyens la possibilité de participer à la décision dans la Commune : Comment mettez-vous en place cette démocratie participative ? Comment fonctionne-t-elle ?
Cela fait 20 ans qu’on travaille, avec Plaine Commune, sur ces questions, autour de l’alliance entre la société civile et l’institution pour refaire un projet de ville. Ayant peu de moyens, on compte sur les gens. Les citoyens sont acteurs et moteurs du projet de ville. Naturellement le citoyen travaille avec l’institution sur le projet général.
100% du budget des associations et des actions d’initiative locale est géré par les associations. Le Conseil de la vie associative propose au conseil municipal les budgets à allouer aux associations pour le fonctionnement et pour des projets annuels. Le Conseil municipal est une chambre d’enregistrement qui fait confiance aux associations pour proposer des budgets à d’autres assos pour le projet de ville.
Un autre exemple : le village Olympique. La majorité municipale n’était pas tellement fan pour porter la candidature du Village Olympique. Le président de Plaine Commune à l’époque, Patrick Braouezec, est venu me voir pour en discuter, pour valoriser l’héritage pour les habitants. On a lancé une consultation à distance, avec les associations, les habitants, les agents, les élus, les différentes forces du territoire. On a sorti de la consultation un cahier des charges : les conditions de L’Île-Saint-Denis pour accepter de porter candidature au village Olympique. Et on s’est engagé dans ce projet, sur la base d’un projet fort, stabilisé et structuré, construit avec les habitants. C’est devenu un mandat qui nous guide et nous donne beaucoup de légitimité. Cela nous permet d’avoir un récit du projet olympique de L’Île-Saint-Denis. Ce projet olympique accélère le processus de transformation écologique de la ville. L’accueil du village olympique est un accélérateur de notre projet de transition écologique, solidaire et joyeuse !
Propos recueillis par Didier Raciné, Rédacteur en chef