
La renaissance industrielle en France dont on voit les premiers effets sur les territoires prend des formes très caractéristiques de la transformation en œuvre dans le monde actuel : évolution de la vente de produits vers la vente des usages, importance croissante des données, numérisation et hybridation industrie et services et passage de l’économie linéaire à l’économie circulaire, prise en compte du cycle de vie, de la sobriété carbone mais aussi matière, des impacts sur l’environnement, remise en cause de l’économie de masse, circuits courts de l’approvisionnement comme de la commercialisation, liens multiples avec les territoires , …
C’est à une véritable révolution de l’industrie que l’on assiste et que décrit très bien Anaïs Voy Gillis. La seconde partie de cet article à paraître dans le N° de mai de Alters Média
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Renaissance industrielle
Vous soulignez que l’industrie « connait de nombreux bouleversements qui questionnent son modèle et appellent à faire émerger une nouvelle approche et une nouvelle définition ».
Quels sont les facteurs de ces transformations ?
L’industrie est en train de muter vers la vente d’usages au lieu de la simple vente de produits.
L’industrie doit, en effet, se transformer en profondeur, notamment pour répondre au défi de la lutte contre le réchauffement climatique. Les deux transformations en cours les plus connues sont : la numérisation des usines et des chaînes de valeur, et l’intégration des enjeux environnementaux. Le numérique commence à pénétrer assez largement l’industrie, même s’il existe encore des différences sectorielles et intra-sectorielles. Le plan de relance a permis une modernisation de certaines unités de production avec notamment une augmentation du taux de robotisation. La donnée est désormais vue comme un actif stratégique des entreprises industrielles qui s’en servent en interne pour mieux piloter la production, mais aussi en externe en développement de nouveaux modèles économiques autour des services associés autour des produits. L’industrie est en train de muter vers la vente d’usages au lieu de la simple vente de produits.
Il existe différentes briques technologiques comme la fabrication additive, l’intelligence artificielle, la cobotique, etc. sur lesquelles les industriels peuvent s’appuyer pour améliorer leur productivité ou répondre à des enjeux spécifiques. Elles n’ont pas toute la même maturité, mais certaines, comme la fabrication additive, vont contribuer à transformer l’industrie en profondeur. Qui aurait cru qu’il serait un jour possible de réaliser des pulls grâce à une imprimante 3D comme le fait l’entreprise française 3D Tex ?
L’enjeu est de passer d’une économie linéaire à une économie circulaire.
Le modèle de consommation de masse n’est pas compatible avec la réduction de l’impact environnemental des activités humaines.
La question environnementale commence à être intégrée dans les feuilles de route de transformation des entreprises. Elle reste malheureusement souvent circonscrite à la question de la décarbonation des unités de production. C’est un premier pas essentiel, mais il faut penser ce sujet sur l’ensemble des chaînes de valeur. Les activités les plus carbonées se trouvent souvent en amont et en aval de l’unité de production (scope 1 et 3). Il faut également se méfier de l’approche qui consiste à se dire « neutre en carbone ». La neutralité carbone n’existe pas, il faut donc bien prendre garde à ce que le raisonnement soit la réduction drastique des émissions carbone et non la compensation qui ne résout pas le problème. Plus largement, il s’agit de repenser les manières de produire ce qui induit une question sur le modèle économique des entreprises, mais aussi de concevoir et de distribuer les produits. Les produits doivent être pensés comme repérable et recyclable. Le choix des matières est également critique quand on voit les problèmes de pollution liés à l’usage de matières plastiques.
L’enjeu est de passer d’une économie linéaire à une économie circulaire. Au regard de ce principe, la décarbonation ne suffit pas car elle ne s’attaque pas au problème de fond qui est de sortir de la logique : extraire, produire, utiliser, souvent trop peu, et jeter. Ce schéma nécessite beaucoup de matériaux et d’énergie et ne permet pas de limiter le réchauffement climatique à 2°C. Pour appuyer cette transformation, mais aussi pour renforcer la souveraineté, il est important de structurer des filières de recyclage.
Il apparaît assez clairement que le modèle de consommation de masse n’est pas compatible avec la réduction de l’impact environnemental des activités humaines, ce qui est un profond pari de transformation pour les industriels.
Quelles sont les conséquences concrètes de la révolution en cours sur l’outil productif ?
Si nous sortons réellement du modèle de consommation de masse pour aller vers une production plus raisonnée et tournée vers la sobriété, le modèle classique de massification de la production pour abaisser les coûts de production va être fortement remis en question. Par ailleurs, les transitions de certains secteurs, si elles ne sont pas anticipées, vont avoir des conséquences lourdes sur les écosystèmes productifs et sur la préservation des savoir-faire industriels nationaux. Le cas des fonderies dans l’automobile en est une bonne illustration. Il est également un appel au besoin de solidarité dans les écosystèmes si nous souhaitons réussir collectivement le pari de la lutte contre le réchauffement climatique.
La pandémie a montré le besoin de rapprocher lieu de production et lieu de consommation.
La numérisation entraîne une hybridation entre industrie et services. Il y a aujourd’hui des entreprises de services qui viennent dans des secteurs historiquement industriels comme le font les GAFAM quand elles cherchent à développer le véhicule autonome. Il y a alors un risque de désintermédiation pour les acteurs industriels traditionnels. De la même manière, des acteurs industriels commencent à développer et à vendre des services autour de leurs produits, la valeur résidant alors plus dans le service que dans le produit. Le modèle le plus développé est pour le moment celui du service de maintenance ou celui du conseil pour améliorer l’usage des produits comme le fait Michelin avec ses pneus connectés.
Enfin, la pandémie a montré le besoin de rapprocher lieu de production et lieu de consommation. L’éclatement des chaînes de valeur s’il permet des gains de prix n’est pas très pertinent sur le plan environnemental. L’un des enjeux d’une réindustrialisation pérenne est donc d’arriver à redévelopper des écosystèmes productifs en France avec la maîtrise d’une grande partie de la chaîne. Dans cette logique, il faut que les entreprises, les consommateurs et les acteurs publics fassent évoluer leurs politiques d’achats pour favoriser plus les entreprises françaises. La renaissance industrielle est aussi une histoire de demande. Contrairement à ce qu’il est communément dit, nous savons faire encore beaucoup de choses en France, nous avons des entreprises qui maîtrisent des savoir-faire de pointe, mais elles sont parfois moins connues que des entreprises asiatiques. Or, rechercher à s’approvisionner d’abord à proximité, dans une logique de circuits courts, est une solution de la réindustrialisation car le différentiel de coût dans de nombreux cas n’est pas aussi important qu’imaginé, surtout si l’on raisonne en coût complet de possession.
Quelles sont les conséquences concrètes de la révolution en cours sur l’outil productif ?
Il y a également un sujet de quête de sens autour de la raison d’agir des entreprises et de leur rôle dans la société. La question environnementale devient un facteur mobilisateur
Il est encore difficile d’écrire les conséquences. Plusieurs choses peuvent être dites.
- Premièrement, la relocalisation des usines se fait souvent en repensant les produits et avec une forte robotisation donc la création de beaucoup moins d’emplois, c’est ce que montre les cas récents comme Chamatex, Lunii, etc. Le rapport est souvent de 10 à 1 : pour dix emplois en Asie, la relocalisation créée un emploi en France. Toutefois, la création d’emplois directs dans l’industrie génère également la création d’emplois indirects dans les services logistiques, la maintenance, etc. mais également des emplois induits dans l’écosystème de l’usine.
- Deuxièmement, le fort taux de robotisation d’un pays ne veut pas dire qu’il y a moins d’emplois industriels comme le montre le cas de l’Italie ou de l’Allemagne, mais qu’il y a une évolution de la nature des emplois industriels pour aller vers des emplois plus qualifiés. L’enjeu premier pour la France est d’arriver à recréer de la valeur industrielle sur son territoire et de recréer des écosystèmes autour des usines qui s’implantent sur le territoire, afin qu’elles ne soient pas uniquement des activités d’assemblage.
Par ailleurs, l’industrie souffre d’un déficit d’attractivité du secteur avec une double peine en quelque sort puisque si elle n’est pas attractive, elle se localise souvent sur des territoires qui souffrent eux aussi d’un déficit d’attractivité. Cette situation a un impact sur le recrutement dans les métiers traditionnels de l’industrie, mais encore plus dans les nouveaux métiers liés à la modernisation et à la robotisation des sites.
Il y a également un sujet de quête de sens autour de la raison d’agir des entreprises et de leur rôle dans la société. La question environnementale devient un facteur mobilisateur qui oblige les entreprises traditionnelles à intégrer cela dans leur stratégie et à repenser leur manière de faire.