
Dans ce temps où le réchauffement climatique impose des bouleversements dans tous les domaines de la vie sociale, France 2030 définit, pour les 5 ans à venir, la stratégie d’investissement française dans l’innovation et l’industrialisation de solutions innovantes. L’objet d’innovation technologique devrait être de soutenir une transformation sociale précise, attachée notamment aux mutations climatiques et écologiques. Isoler les questions de technologies des transformations sociales associées nous semble être une erreur, pour des raisons d’efficacité d’une part, mais aussi parce qu’il sera ainsi difficile d’atteindre leur objet. Nous questionnons le pilote du programme sur sa logique, ses moyens, ses modalités de fonctionnement.
Au Conseil des ministres du 26 janvier 2022, vous avez été nommé secrétaire général pour l’investissement, en charge de piloter le projet « France 2030 ». Ce projet d’investissement est doté de 54 milliards d’euros et vise à faire de la France « une grande nation d’innovation ». Quel est l’objectif du Programme d’investissement massif « France 2030 » ? À quels défis de notre temps veut répondre le programme ?
France 2030 a été présenté par le Président de la République le 12 octobre 2021, à une époque où l’on pensait proche la sortie de la crise sanitaire. Centré sur l’innovation, c’est une des réponses importantes aux défis majeurs actuels, le changement climatique, la transition énergétique, les questions de formation et bien d’autres encore. Nous n’avions pas à l’époque anticipé la crise en Ukraine et la crise énergétique qui s’en suivrait. Il faut aujourd’hui s’adapter.
France 2030 est organisé autour de 5 Pôles, chacun répondant à une demande de la société : la santé (demande de qualité de vie), les transitions agricole, écologique et énergétique (demande d’un environnement sain), la connaissance (la formation, l’éducation, la culture, etc.), la souveraineté numérique (le Cloud, l’IA, la cybersécurité, etc.) et enfin les nouvelles frontières (l’espace, les grands fonds marins, le quantique). Il se décline avec des cibles : les grands thèmes définis le 12 octobre par le Président. Le budget global est de 54 milliards d’euros qui seront déployés sur 5 ans. Dans ces 54 milliards d’euros sont intégrés les 20 milliards d’euros du 4e Programme d’investissements d’avenir (PIA4) présenté en janvier 2021.
« France 2030 a pour vocation première à soutenir les innovations technologiques, la recherche et l’industrialisation de solutions innovantes. »
Les événements de 2022 et de l’été (très grande sécheresse) ont-ils conduit à des ajustements ?
Il s’agit d’une vision à long terme; ce qui implique que nous ne pouvons pas nous mettre de changer systématiquement de cap en fonction de tels ou tels événements conjoncturels. Cependant, et c’est bien normal, nous n’excluons rien par principe. Nous sommes en constante réflexion pour ajuster France 2030 et ses objectifs, en accélérant sur certaines thématiques comme la formation et en ouvrant de nouveaux champs de réflexion. J’ai par exemple demandé à mes équipes, en accord avec nos partenaires ministériels, de travailler sur la thématique de l’eau. C’est une problématique qu’il nous faudra sans aucun doute adresser dans les prochaines années.
Quel type d’innovation soutient France 2030 (innovation technologique, sociale, des usages, managériale…) ? Certaines innovations peuvent avoir des dimensions technologiques, mais doivent s’appuyer sur des capacités innovantes d’ingénierie sociale. C’est l’exemple de programmes de logistique urbaine décrite dans ce numéro d’Alters Média. Ne financer que des innovations technologiques réduira beaucoup la portée des innovations envisagées.
France 2030 a pour vocation première à soutenir les innovations technologiques, la recherche et l’industrialisation de solutions innovantes. Cela n’exclue en rien le financement de d’autres types d’innovation. C’est notamment le cas de l’innovation pédagogique ou des innovations de process. France 2030 accompagne par ailleurs des programmes plus « intégrés » avec notamment des actions de financement de projets innovants plus divers. C’est par exemple le cas des Territoires d’innovation qui permettent d’accompagner des actions de sensibilisation des publics à différentes problématiques ou encore des projets co-construits avec des citoyens. Nous sommes conscients que l’innovation ne peut pas être que technologique, mais il est de mon devoir de rappeler que cela notre priorité.
Plan France 2030
Un plan qui suit 10 objectifs pour mieux comprendre, mieux vivre, mieux produire en France à l’horizon 2030.
- Objectif 1 : Faire émerger en France des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets. 1 milliard d’euros sera investi d’ici à 2030.
- Objectif 2 : Devenir le leader de l’hydrogène vert. En 2030, la France comptera sur son sol au moins deux giga factories d’électrolyseurs et produira massivement de l’hydrogène et l’ensemble des technologies utiles à son utilisation.
- Objectif 3 : Décarboner notre industrie. Baisser de 35 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2015. Plus de 8 milliards d’euros seront investis pour atteindre ces trois premiers objectifs.
- Objectif 4 : Produire près de 2 millions de véhicules électriques et hybrides.
- Objectif 5 : Produire le premier avion bas-carbone. Près de 4 milliards d’euros seront investis pour ces transports du futur.
- Objectif 6 : Investir dans une alimentation saine, durable et traçable. 2 milliards d’euros investis pour ces enjeux.
- Objectif 7 : Produire 20 biomédicaments contre les cancers, les maladies chroniques dont celles liées à l’âge et créer les dispositifs médicaux de demain.
- Objectif 8 : Placer la France à nouveau en tête de la production des contenus culturels et créatifs. 3 territoires stratégiques ont été identifiés : l’Arc méditerranéen, l’Île-de-France, le Nord. Ils seront les 3 grandes fabriques de la French Touch.
- Objectif 9 : Prendre toute notre part à la nouvelle aventure spatiale.
- Objectif 10 : Investir dans le champ des fonds marins.
Quels sont les grands secteurs d’innovation soutenus en matière de changement climatique ?
Le premier volet est la production d’énergie décarbonée. France 2030 soutient toute la palette de ces énergies « propres » ou à faibles émissions de carbone. Cela comprend notamment les petits réacteurs nucléaires, l’hydrogène vert mais aussi les énergies renouvelables telles que l’éolien, le photovoltaïque, le biogaz…
Le second volet c’est la réduction de notre empreinte carbone dans l’industrie, l’agriculture, les transports, le bâtiment. Dans le domaine de la mobilité par exemple, nous soutiendrons les divers modes de transport à base d’hydrogène vert, nous contribuerons à l’émergence du premier avion bas carbone ou encore nous financerons des stations de recharge de véhicules électriques partout en France. Dans le cadre de notre stratégie sur la montée en puissance de la filière des véhicules électriques en France, nous financerons 3 giga factories qui intègrent toute la chaîne (de la batterie aux moteurs) de véhicules électriques. Pour n’en citer qu’une autre, France 2030 dispose également d’une stratégie sur le recyclage et les matériaux éco-conçus.
Notre objectif est très clair. Nous souhaitons décarboner notre économie tout en faisant émerger des leaders, des référents, et si possible des innovations de rupture. France 2030 contribuera donc à « verdir » notre société, à l’adapter au changement climatique et à la rendre plus durable. Nous le devons aux générations futures.
Et concernant les questions d’adaptation à la sécheresse dans l’agriculture et les territoires ?
sécheresse dans l’agriculture et les territoires ? C’est également une problématique que France 2030 s’attachera à traiter mais sous l’angle de l’innovation technologique : ainsi nous pourrions soutenir des solutions mécaniques ou biologiques d’agriculture raisonnée permettant de faire face au stress hydrique par exemple ; ou des solutions robotiques innovantes permettant d’épauler nos soldats du feu dans l’exercice de leur mission. Je tiens à souligner tout de même que ce seront les demandes sociétales et non nos propres projections qui seront à la base des choix. Nous vivons une troisième révolution agricole. Nos agriculteurs vont devoir adapter leurs pratiques. Nous sommes là pour les accompagner
« Confier la créativité aux entreprises, aux écosystèmes innovants plutôt que d’imposer d’en haut les vues de l’État. »
Comment utilisez-vous les capacités de la prospective pour orienter vos choix ?
Nous travaillons avec France Stratégie sur ce sujet, mais nous comptons prioritairement sur le génie français pour orienter les grands choix d’innovation. Nous faisons le pari de confier la créativité aux entreprises, aux écosystèmes innovants plutôt que d’imposer d’en haut les vues de l’État. Notre philosophie c’est en quelque sorte de s’ouvrir au maximum d’innovations, au maximum de technologies pour ne pas nous enfermer dès aujourd’hui dans un couloir que nous pourrions être amenés à regretter. Personne n’est capable de vous dire à l’instant T ce que sera la grande innovation de la prochaine décennie. Ce que je peux vous dire c’est que France 2030 ne la laissera pas passer.
Comment s’articulent France 2030 et la Recherche, avec le MESR ?
La recherche fait bien évidemment partie intégrante de France 2030. Les 10 objets définis par le Président sont notre boussole ; ils définissent un cap autour duquel nous élaborons de véritables stratégies intégrées. Ces stratégies intégrées couvrent tout le continuum de l’innovation, de la recherche à la commercialisation d’un produit ou d’un procédé innovant. La recherche est l’un des nombreux outils sur lesquels misent France 2030 pour rapprocher le futur. Nous le faisons en finançant des programmes et des équipements prioritaires de recherche, en accompagnement des universités, des laboratoires de recherche ou encore en aidant des chercheurs qui souhaitent valoriser leurs travaux et les transformer en une innovation concrète.
Le MESR est l’un de nos partenaires les plus privilégiés. Nous travaillons au quotidien avec les équipes de la ministre pour trouver les solutions les plus adaptées pour nos chercheurs. Notre exigence de qualité reste très forte même si nous accepterons de nous tromper. Essayer, avancer, se tromper, recommencer, c’est un peu l’essence de la recherche et c’est une philosophie que partage France 2030.
« Nous voulons former un 1 million de personnes aux métiers d’avenir d’ici 2030. C’est le cap fixé par le Président de la République et nous nous y tiendrons. »
Trop orienter nos efforts sur l’innovation et non sur la recherche, n’est-elle pas une erreur ? Louis Gallois a récemment donné une interview où il précise : « Or, la France n’a pas consacré en 2018 plus de 0,8 % de son PIB à la recherche publique, contre 1,3 % en 1995. En incluant la recherche privée, la recherche totale est à 2,2 % du PIB, là où il faudrait être à 3 %. C’était l’objectif, les moyens n’ont pas suivi, les Allemands sont à 3,1 %, les Américains à plus de 3 %, les Coréens sont à 4,5 %. Nous avons un vrai risque de décrochage, on l’a vu sur les vaccins. Nous risquons de bâtir notre industrie avec les technologies des autres ».
Comme je le soulignais il y a un instant, France 2030 finance la recherche. À titre d’exemple nous consacrons 3 milliards d’euros sur 54 milliards d’euros au financement de programmes et équipements prioritaires de recherche. C’est sans compter le financement des instituts hospitalo-universitaires (IHU) pour la recherche en santé ou le financement des sociétés d’accélération de transfert de technologies qui permettent de valoriser la recherche.
Ensuite, nous n’avons pas la même histoire que ces pays : la désindustrialisation nous a affecté plus fortement depuis 40 ans que l’Allemagne, la Corée du Sud ou les États-Unis. Certes, en matière de recherche nous devrions être à 3 % du Budget et nous atteignons 2,4 % cette année. L’objectif de la France est de 3 % en matière de recherche. La dernière loi de Programmation de la recherche en témoigne (2021-2030), nous progressons.
Lorsqu’on observe France 2030, dans son volet industrialisation, nous voyons que nous sommes dans un plan d’industrialisation plutôt que de relocalisation ou réindustrialisation.
Oui, je n’aime pas le concept de relocalisation, et préfère celui de localisation. Pour apporter des solutions à la crise et pour la compétitivité, nous allons bouleverser les process, créer de nouvelles usines de production, plus modernes : les 54 milliards d’euros sont une incitation à l’innovation et à la modernisation. Nous visons des changements de procédés et non du capacitaire, ni du bâtimentaire !
« Les opérateurs (ADEME, BPI, DREAL…) font de l’accompagnement, nous n’intervenons pas dans l’innovation sociale. Les acteurs de la formation pourront s’appuyer sur leurs actions. »
Quels seront les rapports avec les plans européens, notamment de soutien aux grandes filières ?
Bien sûr, nous sommes en phase avec ces projets européens et on regardera ce qui se passe au niveau de l’Europe. Mais notre idée est de financer des projets en France. Et nous soutiendrons toutes les grandes filières, mais aussi de nouvelles sur lesquelles nous sommes en retard.
Par exemple il n’existe pas de véritable chaîne intégrée dans le photovoltaïque, nous souhaitons en créer. À propos du véhicule électrique, sont sécurisés plusieurs milliards pour des développements intégrés : on veut que la France retrouve son aura d’innovation ! Dans le numérique, la France a conservé ses atouts dans le soft, mais perdu dans le hardware (à l’inverse de l’Allemagne) : nous soutiendrons le hardware. Mais nous soutenons aussi la filière du Lin dans les Hauts de France (où actuellement nous produisons la plante, les fibres sont envoyées en Chine, qui nous renvoie les textiles !). Nous soutenons dans la Drôme des technologies pour l’hydrogène très voisines de certaines techniques utiles dans le nucléaire.
En bref je vous confirme que comme nos voisins européens nous allons soutenir de « grandes » filières mais aussi des filières moins évidentes, moins structurés mais tout aussi sinon plus porteuses. Je pense à la filière des protéines d’insectes ou à celle du chanvre.
À propos de la formation, quelles sont vos ambitions ?
Nous voulons former un 1 million de personnes aux métiers d’avenir d’ici 2030. C’est le cap fixé par le Président de la République et nous nous y tiendrons (une classe d’âge est de 800 000 jeunes). Il y a là une réponse aux difficultés de recrutement de personnes qualifiées, capables de maîtriser des technologies innovantes par exemple. Cela touche tous les secteurs de la formation, du Bac-3, aux grandes Écoles et Universités, en comptant aussi la VAE et la formation professionnelle. Nous soutenons par exemple (par le financement de 6 Universités) le doublement des compétences en matière de mécanique quantique.
Il existe un appel à manifestation d’intérêt « Compétences et Métiers d’avenir » doté de 2,5 milliards d’euros. Il porte bien son nom puisqu’il doit nous permettre de renforcer l’appareil de formation sur des métiers en tension et donc notre capacité à atteindre les objectifs de France 2030. Nous laissons les propositions venir du terrain, les besoins et les initiatives s’exprimer plutôt que d’imposer d’en haut des solutions ! Nous ne voulons pas tomber dans le piège : « je sais ce qu’il faut faire » ! On doit être incitatif, répondre à l’endroit des besoins qui ne seraient pas couverts si l’on n’intervenait pas.
Mais justement, ajuster les demandes et les offres en matière de compétences et de gestion prévisionnelle de celles-ci nécessite une certaine ingénierie sociale. N’est-ce pas se priver de telles capacités, que de se centrer uniquement sur des outils technologiques ?
Nous intervenons avec d’autres financeurs (régions, ANR…), qui peuvent apporter une autre couleur. Les opérateurs (ADEME, BPI, DREAL…) font de l’accompagnement, nous n’intervenons pas dans l’innovation sociale. Les acteurs de la formation pourront s’appuyer sur leurs actions.
Qu’en est-il des relations entre Université et Entreprises dont s’est alarmé la Cour des Comptes ? De l’apprentissage au sens large ?
C’est un sujet, et nous sommes là-dessus en retard de façon systémique sur l’Allemagne. Nous devons pousser notre action, notamment en matière d’apprentissage. Il faut rapprocher les apprenants des entreprises et vice versa. La jeunesse n’a pas le monopole de la formation. Tout le monde peut, et je dirais même doit, se former tout au long de la vie. France 2030 est là pour accompagner la formation des jeunes bien sûr mais aussi de celles et ceux en reconversion professionnelle par exemple ou désireux de parfaire leurs connaissances.
À propos des relations PME-Grands groupes, comment doivent se répartir vos financements ?
La loi impose que les financements soient répartis de manière équilibrée pour que 50 % aille vers des acteurs émergents dont font bien évidemment parties les TPE, PME et ETI. Nous encourageons les relations entre grands groupes et PME-ETI, des relations d’association, pour aider les PME à faire passer leurs innovations à l’échelle industrielle, quitte à ce que les grandes entreprises passent des contrats sur le long terme aux PME. France 2030 encourage les projets collaboratifs, petites et grandes entreprises, public et privé, laboratoires et entreprises, etc.
À propos des territoires, peuvent-ils répondre ? Là encore, les innovations demandent souvent de l’ingénierie sociale, d’organisation complexe, sinon elles ne peuvent pas voir le jour.
Nous soutiendrons tous les acteurs qui remplissent nos conditions, sur tout le territoire, en Métropole et Outre-Mer. Nous avons mis en place par région, un comité de suivi régional, sous l’autorité du Préfet de Région, pour favoriser un dialogue permanent, qu’émerge les idées et que les territoires puissent s’en emparer. Nous souhaitons élargir la base de la pyramide des répondants : il faut donc simplifier les procédures, et agir contre l’auto censure (du type : « les appels sont faits pour les parisiens », « pour les grands groupes » !). France 2030 n’est en rien un plan « parisiano-centré ». Au contraire, c’est un plan qui inspire à libérer les énergies de tous les territoires.
Vous avez raison de rappeler que tous les villes et tous les villages de France ne disposent d’un cabinet de conseil en ingénierie de projets à portée de main. Là aussi nous travaillons à favoriser l’accès de ces publics à France 2030. Comment ? En nouant des partenariats solides avec les collectivités, notamment les régions et leurs agences de développement économique, avec les chambres de commerce et d’industrie, avec les pôles de compétitivité et pourquoi pas avec les Territoires d’industrie. Il faut permettre à celles et ceux qui ont une idée,où qu’ilssoient, d’êtredans les meilleures conditions pour la développer et éventuellement la concrétiser. Nous sommes dans le domaine technologique, et nous voulons renforcer les dynamiques d’écosystèmes. C’est par exemple le cas avec le soutien de 3 bioclusters, qui sont des écosystèmes liant recherche, production de biomédicaments, associés sur des rayons de 15 km : Ensemble, on réussit mieux !
– Propos recueillis par Didier Raciné, Rédacteur en chef d’Alters Média et Philippe Clerc, CCI France