
Sommaire du dossier Futur et Prospective :
- Dider Raciné, Retour sur le futur !
- Jean-Éric Aubert, Plus de futur ? Comment (re)construire ensemble des futurs positifs
- Carine Dartiguepeyrou, Prospective socioculturelle – L’analyse des tendances de la société par l’évolution des valeurs
- Jacques Theys, Pour surmonter la « panne du futur », une prospective à réinventer
- Julien Dossier, La fresque du bon gouvernement de Sienne
- Alice Canabate, L’écologie politique – L’art difficile de se préparer au temps qui vient !
- Didier Raciné, Émergences socioculturelles et l’habitabilité de la Terre
- Jean-Pierre Seyvos, Acquérir la capacité à s’accorder et à pouvoir « composer avec »
- Riel Miller, Repenser la notion de futur, l’apport du Programme Littératie des futurs de l’UNESCO
Où atterrir ? La question qui nous est posée se comprend autant sur un plan conceptuel (dans quel monde) et sur un plan visuel (à quoi ressemble-t-il ?). D’autres civilisations, confrontées à des phases de profonds bouleversements, d’inquiétudes, se sont posé cette question. Regarder vers le passé peut nous aider à répondre à ce questionnement sur notre avenir. C’est ce qu’a fait Julien Dossier, en s’inspirant de la fresque du Bon gouvernement de Lorenzetti peinte en 1338 au Palais municipal de la ville de Sienne.
Cette allégorie oppose deux visions du monde. Dans laquelle allons-nous atterrir ? Du bon ou du mauvais côté des effets du gouvernement ? Et quel gouvernement, au centre, façonnerons-nous ? Atterrirons-nous en démocratie, tyranie ou dans une autre forme de gouvernement ?
Comment exploiter la richesse conceptuelle de cette composition ? Comment une œuvre conçue en 1338 peut-elle guider notre réflexion dans un contexte de mutations extrêmement rapides actuelles ? Comment l’intégrer à un projet de collecte et de coproduction des imaginaires, visant la reconstruction de nos pro-jets d’atterrissage ?
Julien Dossier
Auteur de Renaissance écologique. 24 chantiers pour le monde de demain, fondateur de Quattrolibri
Pouvez-vous nous présenter comment vous êtes arrivé à cette fresque du Bon gouvernement de Lorenzetti, comment vous l’analysez et vous l’utilisez ?
Je suis expert en neutralité carbone, thème que j’ai enseigné à HEC dans le cadre du Master « Sustainable and social Innovation » pendant 10 ans. J’ai co-écrit la stratégie de neutralité carbone de Paris et j’ai eu la charge de la programmation du Sommet mondial des villes durables. Or la question souvent posée dans ces pratiques est : à quoi ressemble une ville durable ? Nous sommes saturés de très mauvaises représentations (des tours en béton, des panneaux solaires, aucun signe de biodiversité ni de patrimoine, aucune interaction sociale…). Ces erreurs de représentations induisent des erreurs de conception, et nous en payons les conséquences : chaos climatique, inégalités, perte de biodiversité…
Ce problème de la représentation n’est évidemment pas nouveau et je me suis tourné vers la fresque d’Ambrogio Lorenzetti, « Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement », peinte en 1338 au Palazzo Pubblico de Sienne.
J’y ai vu une représentation symbolique d’une société résiliente, de son écosystème vivrier et urbain, des liens profonds entre les infrastructures sociales, biologiques et minérales. À travers le détail de la composition, il faut en effet voir quelque chose de plus riche que le simple équilibre entre la « ville et la campagne ».
Dans mon livre « Renaissance écologique, 24 chantiers pour le monde demain », je présente la vision politique du gouvernement des Neuf commandant cette fresque, c’est-à-dire leur intention de fournir aux habitants de Sienne une table d’orientation politique : « c’est à vous de vous s’engager et de choisir de faire advenir le monde que vous souhaitez : il vous faut pour cela faire un demi-tour sur vous-même, une révolution pour voir en face la sorte de trou noir qui absorbe toute l’énergie disponible, notre attention… ou d’entrevoir autre chose, un monde résilient, apaisé de gens qui se font confiance ».
Ces fresques sont une carte mentale, et leur mise en scène place le spectateur dans l’obligation de se positionner pour répondre à la question « Où atterrir ? » posée par Bruno Latour. Où notre regard atterrit-il dans cette salle ? À quoi contribuons-nous, par l’attention que nous donnons, par notre choix de participer à tel ou tel pan de mur ? Quelle est notre place dans cette composition et quel rôle y jouons-nous ? Patrick Boucheron le dit très bien dans Conjurer la peur : « Ce qui fait le bon gouvernement n’est pas la sagesse des principes qui l’inspirent ou la vertu des hommes qui l’exercent. Mais ses effets concrets, visibles et tangibles sur la vie de chacun ». Louisa Meoni dans « Utopie et réalité » en fait aussi une lecture fonctionnelle.
Alain Supiot, dans « La gouvernance par les nombres », présente les fresques du Bon gouvernement de Ambrogio Lorenzetti (Sienne, 1338) « comme deux scènes opposées d’un même théâtre politique. Alors que l’allégorie du mauvais gouvernement est dominée par un acteur unique – le Tyran –, le Bon gouvernement se représente comme un équilibre entre une figure masculine du pouvoir politique et celle féminine de la justice. C’est sous cette double égide du pouvoir et de l’autorité que les honnêtes gens sont unis par la Concorde, (symbolisée par la corde qui les relie à ces deux figures) et pourront contribuer à la prospérité de la cité ».
Il poursuit : « L’un des traits les plus remarquables de la représentation collective, entendu dans le sens à la fois juridique et théâtral [et politique], est qu’elle institue, qu’elle fait naître à la vie juridique [et politique] la collectivité des gouvernés. »
Pouvez-vous nous préciser comment lire cette fresque ?
Face à la fresque, dans la salle de la paix du siège du gouvernement de Sienne, nous devons choisir où porter notre regard, quelle posture adopter.
« Sur le mur Nord siègent les figures allégoriques du « Bon gouvernement ». À l’Ouest, une longue paroi étale sa réplique funeste, la cour des vices, et une cité en proie aux flammes de la haine sociale. À l’Est, au contraire, se déploie une peinture majestueuse de la ville en paix et de ses campagnes » (Patrick Boucheron).
Ces deux mondes, celui qui détruit et celui qui construit, mettent le visiteur en tension, elles nous font choisir notre camp. Cessons d’être fascinés par la destruction qui nous paralyse en nous en faisant les spectateurs des effets du mauvais gouvernement. Au contraire, devenons acteurs et rassemblons nos forces pour faire advenir l’alternative, les effets du bon gouvernement.
Cette allégorie a une portée universelle : elle nous permet de nous y situer, de nous y projeter, quels que soient notre âge, notre lieu de vie, notre mode de vie. La composition de cette allégorie forme une grille d’analyse, une matrice de concepts, applicable à diverses civilisations (celle du blé, du maïs, du riz…), diverses époques et divers lieux. Ainsi, partout et à toute époque une civilisation conçoit et régit ses modes de de transport, d’éducation, d’alimentation, de médiation, d’habitat, de production…
Vous avez cherché à utiliser les clés de la composition de la fresque par Lorenzetti, pour construire une approche pédagogique à utiliser à notre époque.
Pouvez-vous nous présenter cette approche, et ses principales caractéristiques ?
Effectivement, pour reprendre de nos jours la formidable puissance de la Fresque de Lorenzetti, j’ai demandé à l’artiste Johann Bertrand d’Hy de dessiner une version contemporaine, calquée sur la fresque siennoise. J’ai guidé son pinceau en lui fournissant une table d’équivalence, sorte de pierre de Rosette, qui a décrit un équivalent contemporain pour chaque composante de la fresque. Les fonctions sont aux mêmes endroits, inchangées. Seules varient les représentations socio-techniques. Nous avons en outre repris les clés de la composition de Lorenzetti, et ses caractéristiques :
• Réalisme : tout existe dans la nouvelle fresque, chaque zone dessinée peut être reliée à une photo d’un objet, d’un lieu, ce qui confère à la fresque une fonction de synthèse de l’État de l’art socio-technique, comme l’avait fait Lorenzetti en son temps ;
• Accessibilité : on ne cache pas le sens des choses, mais on cherche au contraire à le rendre évident, univoque. Ainsi nous avons privilégié des images d’Épinal pour certaines scènes (le mariage par exemple) en assumant de ne pas en représenter la version la plus « woke » pour mieux la rendre reconnaissable, lisible. C’est dans la subtilité du groupe qui félicite les mariés que nous avons introduit d’autres représentations du couple.
• Créativité : la version contemporaine elle n’est qu’un plan, à nous d’écrire l’histoire qui va avec ! Elle n’est volontairement pas coloriée, pour mieux laisser libre cours à l’imagination de chacun, et susciter des traductions concrètes dans leur propre imaginaire.
La fresque n’est pas une simple juxtaposition de fonctions posées les unes à côté des autres, comme peuvent l’être les présentations sérielles des 17 Objectifs du Développement Durable. La composition de la fresque guide notre regard d’une zone à l’autre, ce qui guide notre réflexion sur les liens de causalité, les liens d’association ou de continuité sémantique qui relient les composantes. Cette fresque aide à décrire ce dont je dépends, ce qui dépend de moi, ce que je veux faire vivre…
La fresque joue ainsi le rôle d’une table de billard pour rebondir d’un concept à l’autre. On peut associer par continuité, en pointillé, au sein d’un périmètre, par symétrie autour de l’axe central de la composition de très nombreuses relations : la forêt est à équidistance de la zone de construction par exemple. La gamme des registres d’interprétation est très large.
Ces parcours de lecture de la fresque ouvrent une source infinie de possibilités pour élaborer des trames narratives : la fresque permet de composer une vision systémique de la santé, de la justice, de la coopération, de la mobilité, de l’égalité femme-homme, de la biodiversité, de la sobriété, de la solidarité, de l’énergie, du cycle du carbone, de la stratégie d’une entreprise, de l’évolution sociotechnique depuis le néolithique jusqu’à l’époque moderne ou bien d’un territoire ou d’une filière ou encore de la comptabilité en triple capital !

Vous faites dialoguer les personnes entre elles à travers la fresque, pour leur permettre de construire des récits. Vous nous direz comment un peu plus tard, mais comment avez-vous construit cette nouvelle fresque pour faciliter les dialogues et la construction des récits adaptés à notre propre situation ?
Par la richesse des personnages, des lieux, des situations et des types de projets, j’ai fait en sorte que chacun puisse se reconnaître et se projeter !
J’ai pour cela élaboré quatre typologies :
1. Les personnes présentées dans la fresque sont d’une très grande diversité (sociotypes), par leur âge, leurs fonctions et milieux socioprofessionnels, leur cercle familial, social… il y a une multiplicité de points « d’atterrissage » et les personnes peuvent se reconnaître. On peut se situer d’un coup d’œil. J’attache beaucoup d’importance à cette propriété de la fresque, qui lui confère une fonction inclusive : chacun y trouve sa place, chacun atterrit ainsi dans ce monde, qui devient proche, accessible, désirable, engageant.
2. La fresque est construite ainsi sur une diversité des lieux types (topotypes), précisant la diversité des habitats, des richesses des milieux, des facteurs géographiques. C’est, à l’usage, une propriété essentielle, qui permet de « baptiser » la fresque en nommant telle ou telle composante : le cours d’eau devient le Rhône, la Loire, la Seine ou le Rhin. Nous avons pu montrer, au Grand Duché du Luxembourg5, l’importance de proposer une double lecture d’un territoire en établissant une table de correspondance entre une cartographie géographique et une cartographie fonctionnelle du territoire. La fresque éclate ou rassemble des zones qui peuvent être proches ou éloignées du point de vue géographique, pour mieux les rendre lisibles du point de vue fonctionnel (le cycle alimentaire, de la fourche à la fourchette, par exemple).
Mais la fresque permet-elle une réelle ouverture sur des systèmes très différents géographiquement, techniquement, socialement ?
Oui, un ami béninois, a pu par exemple s’appuyer sur la fresque pour retracer sa propre trajectoire de vie, son village lacustre, sa famille élargie, l’école où il enseigne… Il décrit son économie locale à travers les systèmes de réparation (donnant ainsi un sens de la matière), le marché où les femmes vendent le poisson et achètent les légumes. Le moyen de transport collectif reliant la ville à son village s’opère en bus plutôt qu’avec un tram-fret comme dans la fresque, mais la fonction est identique. La proximité de la forêt et du lac lui a permis d’aborder les enjeux de gestion des ressources locales (pirogues en bois, habitats lacustres…)… Il utilise aujourd’hui la fresque dans son école et me dit combien elle est propice à une transmission orale, dans sa langue, accessible à des élèves qui ne lisent pas encore.
3. Face à ces sociotypes et aux topotypes, nous avons fait figurer des écotypes, précisant les divers types d’activités en rapport avec les divers milieux naturels ou urbains. Une lecture de la fresque de gauche à droite, en trois temps fait émerger trois grandes familles d’écotypes :
• Dans la partie gauche, les écotypes de l’infrastructure urbaine et sociale : la zone de l’atelier et des interactions sociales, avec la notion et pratiques de fraternité, de réciprocité de modération dans les moyens, du temps social,
• Au centre, on trouve l’infrastructure économique : l’extraction (le secteur primaire), la transformation (le secteur secondaire) et les échanges (le secteur tertiaire).
• À droite, l’infrastructure biologique (avec l’eau, le fleuve, et leurs divers usages), qui invite à réfléchir à la renaturation et au monde dit « sauvage », mais aussi aux conflits d’usage et aux stratégies permettant de maximiser le potentiel du rayonnement solaire sur une unité de sol : production de photosynthèse, de chaleur, d’énergie photoélectrique, de puissance éolienne…
Si certains écotypes sont univoques (le boulanger, le commerçant, le livreur, la musicienne, l’enseignante, l’agricultrice…), d’autres ouvrent de nombreuses possibilités d’interprétation : la femme en fauteuil roulant est-elle le médecin ou le patient ?
Là encore, nous pouvons démultiplier les possibilités, en fonction des associations d’idées ou en fonction des parcours narratifs que nous construisons d’une zone à l’autre de la fresque. Nous avons par exemple conçu et formulé des écotypes complexes lors d’un atelier avec la Haute École de travailleurs sociaux de Sion, dans le Valais suisse. Chaque projet avait une dominante (une mission d’éducateur spécialisé par exemple), des attributs (le jardinage), des cibles (un public âgé), des territoires d’opération (la montagne)… le tout étant matérialisé sur la fresque par le positionnement de numéros, formant ainsi une séquence narrative simple.
Peut-on traduire aussi des relations socio-économiques comme celle entre l’ouvrier et le patron ?
Dans toutes les relations sociales, nous n’avons pas souhaité opposer ou hiérarchiser des statuts sociaux, des relations de dominé à dominant. Nous avons privilégié la dynamique d’union des forces, telles qu’elles figurent dans la fresque de Lorenzetti : nous avons illustré les dépendances mutuelles, dans un esprit d’égalité de point de vue, sans position hiérarchique. La poignée de mains, entre un homme et une femme habillés très différemment l’un de l’autre cristallise cette intention.
Comment sont alors représentés les récits qui émergent de ces échanges ?
Nous arrivons alors ici au quatrième type de relation possible à travers la fresque :
4. Le chrono type, qui permet l’interaction avec le réel
En lisant la fresque de bas en haut, nous pouvons distinguer plusieurs types d’interactions avec le réel.
En bas, les projets sont simples et peuvent être démarrés et terminés en moins d’un an. Ces projets relèvent de notre libre arbitre, décrivent des facteurs structurants de la demande : quelle organisation familiale, quel cercle amical, quelles références culturelles, quelle alimentation, quels besoins de mobilité, quels loisirs…
Le milieu de la fresque décrit le volet offre, en miroir de la demande : des projets qui nécessitent un temps de préparation (budget, autorisations) et qui pourront être menés à bien en moins de cinq ans. Nous maîtrisons les technologies et disposons d’un cadre légal adéquat. Nous bâtissons une infrastructure simple, pouvant être industrialisée : renouvelables, agroécologie, retrofitting de matériel et services de mobilité, commerces, petites unités de production…
Le haut de la fresque rassemble des projets du temps long, dont les résultats seront atteints de 5 à 10 ans) : par exemple, aménagement du territoire, l’évolution du cadre réglementaire, la rénovation des bâtiments, transformation des filières industrielles…
Cette grammaire, les sociotypes, topotypes, écotypes, chronotypes nous outille pour apporter des réponses aussi simples que complexes à la question « où atterrir ? ». La fresque permet ainsi d’élaborer des récits individuellement ou collectivement, dans des contextes très variés, sur trois niveaux ou registres de représentation :
• Le niveau émotionnel à effet immédiat mais à impact long : c’est une nouvelle façon de représenter le monde, de se représenter ses liens de dépendances et d’attachements avec lui. Ce niveau a l’immense avantage de la simplicité. – Où atterrir ? – Eh bien, là ! De nombreuses personnes nous ont dit avoir été apaisées par la découverte de cette fresque, d’y avoir puisé inspiration, espoir et énergie, heureux de sortir du marasme ou de l’éco-anxiété paralysante.
• Le niveau d’apprentissage, différent selon le contexte où il est effectué (un séminaire, un festival, une école maternelle, une grande école…). L’Association Renaissance Écologique et ses membres développent constamment de nouvelles méthodologies d’interaction et de pédagogie. Dans un cadre professionnel, nous avons pu illustrer les quatre scénarios du programme de prospective mené par l’ADEME, Transition(s) 20506. C’est là une validation de la richesse de la composition, qui a pu illustrer un travail colossal de prospective et de modélisation. C’est aussi une validation de sa plasticité, qui nous a permis de garder la même trame pour illustrer quatre visions du monde très divergentes.
• Le niveau du Projet : si la fresque est essentiellement un plan, notre urgence à agir nous invite à passer du plan aux réalisations concrètes en concevant des projets d’applications de la fresque. C’est ce qui est en cours de réalisation avec une mutuelle (Harmonie Mutuelle). Nous avons d’abord étudié et spatialisé les déterminants de Santé grâce à la fresque : facteurs permettant d’améliorer la qualité de l’eau, de l’air, des aliments, du travail, des relations sociales… Nous démarrons maintenant un programme d’innovations inspirées par la fresque pour bâtir l’infrastructure physique qui permet d’agir concrètement sur ces déterminants de santé : se nourrir autrement, se déplacer autrement, se connecter au vivant…
Ne craignez-vous pas des usages trop autoritaires, utilisateurs fermés de cette fresque (par exemple utilisé pour valoriser le projet de la Direction) ?
Nous n’avons pas été confrontés à ce type de difficultés. La fresque ouvre tellement de pistes d’interprétation, qu’il me paraît difficile de trop enfermer les personnes dans des schémas écrits à l’avance. Il est ainsi difficile à un patron d’imposer à ses salariés de regarder la fresque en partant de tel point et en ne regardant pas tel autre point. Au contraire, les entreprises qui utilisent la fresque nous disent à la fois apprécier la possibilité de mettre en récit leur projet d’entreprise, qui devient facile à comprendre, mémoriser, narrer mais aussi apprécier la liberté d’entreprendre que la fresque confère aux salariés, fournisseurs ou clients : chacun pourra identifier son rôle, son levier d’action, sa contribution à la vision ainsi proposée. Face à un contexte d’urgence, la fresque apparaît ainsi comme un déclencheur d’initiative, une incitation à entreprendre, tout en fournissant un cadre pour relier, coordonner, combiner ces initiatives.
La fresque permet-elle d’introduire la notion majeure de limites aussi bien sociales qu’écologiques de la Terre (cf. la « théorie du Donut ») ?
Cette notion de limites est effectivement essentielle ! Les limites spatiales de la fresque induisent immédiatement les notions de frontières. Ce cadre rectangulaire nous rappelle que nous sommes dans un monde fini !
La composition de la fresque permet quant à elle de définir des limites sociales, temporelles et environnementales. L’équilibre général entre la partie bâtie (« la ville ») et la partie non bâtie (maraichère, forestière) montre bien l’importance de limiter l’artificialisation des sols : ce qui n’est pas bâti vaut autant que ce qui est bâti. L’un ne va pas sans l’autre. En outre, les éléments qui composent la fresque rappellent les chaînes de dépendance entre notions : par exemple, pour nourrir plus de monde il faut plus de sols, des moyens de transport et de stockage, plus d’énergie, d’humains… Plus la chaîne de dépendances est longue, plus elle sera complexe à piloter et mettre en œuvre, ce qui en limitera la portée ! Cet équilibre induit donc les notions de modération entre diverses quantités de matière, les notions de réparation, de répartition et d’économie circulaire et nous ramènent aux questions de limites et d’humilité si l’on veut réconcilier l’homme avec les limites planétaires :
C’est l’ensemble des composantes de la fresque qui conduisent à la sobriété, tant vantée !
Propos recueillis par Didier Raciné, Rédacteur en chef d’Alters Média